«Pourquoi moi?», se demande le petit Hongrois sauvé par Michael Jackson

Michael-Jackso © Malick MBOW
Michael-Jackso © Malick MBOW

Le King of Pop avait financé sa greffe du foie par l’intermédiaire de sa fondation Heal The World.

Tamás et sa famille lors d'une émission sur la chaîne hongroise TV2 Magyarország. | Capture d'écran / YouTube
Tamás et sa famille lors d’une émission sur la chaîne hongroise TV2 Magyarország. | Capture d’écran / YouTube

Sur une route cabossée du village de Miske (sud), il débarque à vélo torse-nu comme un gars de la cambrousse sans histoires, préférant affronter sans haut la canicule au lieu de tremper son T-shirt. Tamás, pourtant, n’est pas n’importe qui.

Les cicatrices bardant sa cage thoracique témoignent de trois tentatives de greffe du foie qui n’auraient jamais été réalisées sans le concours d’un ange-gardien inattendu nommé Michael Jackson. Le chanteur sortit 150.000 euros via sa fondation Heal The World afin de sauver ce garçon malade croisé il y a vingt-cinq ans à l’hôpital Bethesda de Budapest.

À ce moment-là, Tamás s’appelait encore Béla et les médecins se préparaient au pire, faute d’organe disponible. Abandonné par ses géniteurs, l’enfant à la mine décolorée toucha le cœur de la star venue tourner un clip promotionnel de son futur album HIStory sur les bords du Danube.

Accompagné de Lisa-Marie Presley (fille de), Michael Jackson veut emmener le gamin aux États-Unis pour le faire soigner mais le personnel médical refuse, invoquant des contacts avec la Belgique. Ni une ni deux, Jackson décide de payer l’opération pratiquée en décembre 1995 dans une clinique bruxelloise réputée à l’international.

«Son visage était tout vert mais il avait cette lumière, cette étincelle dans les yeux. J’ai demandé à son infirmière quel était le problème de cet enfant. Elle m’a dit qu’il avait besoin d’un foie en urgence et qu’il mourrait s’il ne recevait pas de greffe. Il était hors de question que je laisse s’éteindre cet adorable petit ange. J’ai remué ciel et terre pour trouver une solution et j’ai été soulagé quand on m’a appelé pour m’apprendre qu’il serait finalement opéré. J’étais si fier d’avoir pu l’aider. Dieu le bénisse. Je t’aime Farkas [Farkas est le nom de famille du gamin que Michael Jackson confondait avec son prénom Béla –aujourd’hui Tamás]», témoignera la star des années plus tard dans une émission de télévision américaine de la Fox.

Le troisième greffon fut le bon

L’information reste secrète jusqu’en avril 1997. La presse bruxelloise évoque alors une ardoise de 3 millions de francs belges (75.000 euros) équivalant à la moitié des frais comptabilisés.

Au bout de deux années d’impayés, le service financier de l’hôpital mandate un avocat comme le stipule la procédure prévue dans ce genre de cas de figure. La fondation de Michael Jackson règle le litige deux à trois semaines après la médiatisation de l’affaire et l’info passe complètement inaperçue en Belgique. Tamás effectuera des allers-retours Hongrie-Bruxelles jusqu’en 2002 dans le cadre de son suivi médical.

Un quart de siècle après l’intervention, le chirurgien chargé d’opérer Tamás est toujours de ce monde. Dans un reportage de la télévision publique belge diffusé la veille du dixième anniversaire de la disparition de Jackson, le professeur en retraite Jean-Bernard Otte se réjouit via un court message vidéo présenté à Tamás de la bonne santé de son ex-patient et lui souhaite le meilleur pour l’avenir.

L’expertise du minutieux praticien bruxellois et la mobilisation de l’une des plus grandes icônes de la musique moderne ont épargné au garçon une issue vraisemblablement fatale vue la gravité de son cas.

«Les infirmières de Saint-Luc étaient adorables avec moi, même si je les faisais tourner en bourrique pour regarder la version allemande du Roi Lion dont je ne captais absolument rien. Une femme-médecin m’ameneait discrètement des bonnes choses malgré mon régime alimentaire strict», plaisante celui qui est aujourd’hui marié, papa de deux enfants et propriétaire d’une modeste maison achetée avec l’aide de l’État. «Les deux premiers greffons ont été rejetés par mon organisme mais pas le troisième. Sans Jackson et le professeur Otte, je ne serais certainement plus là», confie le jeune homme âgé de 28 ans.

Ours géant

Sur l’armoire de son salon servant également de chambre pour son bébé –Tamás (7 mois)–et le couple parental, le miraculé consacre un mini-mausolée à la gloire de son célèbre bienfaiteur.

Ici, une photo pré-opération avec Michael et Lisa-Marie depuis la chambre de l’hôtel Kempinsky de Budapest où la star aimait prendre ses quartiers en Hongrie. Là, une image post-intervention de 1996 lorsque Jackson invita Tamás et sa famille adoptive à assister en loge VIP au concert magyar de sa tournée «HIStory». Au milieu du meuble, une lettre accompagnant l’énorme ours en peluche offert par le regretté MJ.

Lisa, l’ours en peluche offert au jeune garçon par le King of Pop. | Capture d’écran / YouTube

Faute de place dans sa limousine noire, l’interprète de «Thriller» aurait spécialement loué les services d’un hélicoptère afin que le cadeau baptisé Lisa et chouchouté par son destinataire arrive à bon port. L’animal brun accompagna Tamás durant toute son enfance et reste entier malgré les années écoulées.

Le Pinocchio en bois qui veillait sur le petit patient au-dessus du lit d’hôpital et de la table d’opération a en revanche été dépossédé d’un bras et de deux souliers noirs. Sur d’autres clichés, on voit Tamás cajoler Lisa dans l’hôtel voisin de la clinique ou rire en traînant son chariot à perfusions.

«Les souvenirs sont loin mais je me rappelle des voyages en hélicoptère médicalisé vers la Belgique et du long trajet en voiture avec mes parents adoptifs pour un contrôle à Bruxelles. En rentrant, on avait été au bord de la mer Noire», raconte Tamás ayant retrouvé sa famille biologique et l’infirmière en chef de Bethesda grâce à une émission format «Perdu de vue».

«Mes parents naturels étaient très jeunes et n’avaient pas un sou quand je suis tombé malade. Les suivants ont pris soin de moi jusqu’à ma majorité mais nos relations se sont dégradées et on se parle assez rarement depuis», souligne-t-il.

Story médiatique

Après plusieurs déménagements et une multitude de petits boulots (travailleur municipal, employé d’abattoir, ouvrier dans l’usine de pneus Hankook de Dunaújváros), il embauche désormais dans une fabrique de pièces détachées automobiles à 15 kilomètres de chez lui d’où il ramène 500 maigres euros mensuels sans demander son reste et économise ce qu’il peut afin de rénover son discret cocon.

Le chantier promet de s’étaler sur un bon bout de temps compte tenu des faibles ressources du couple mais Tamás, frappé plus jeune par la perte d’un nourrisson de onze jours, s’interdit de baisser les bras.

Pour lui, la famille qu’il construit avec Héléna et le bien-être de ses deux enfants auxquels il entend confier la maison une fois celle-ci totalement retapée dépassent de loin les dizaines d’interviews, d’articles et de sujets présentant la nouvelle vie du fils spirituel magyar de Michael Jackson.

Lorsque le chanteur mourut subitement le 25 juin 2009, Tamás laissa couler quelques larmes. Il brûle un cierge pour celui qu’il considère comme un second père à chaque Toussaint et ne croit pas un seul mot des accusations de pédophilie alimentant le docu-choc Leaving Neverlandrécemment diffusé sur HBO.

«Honnêtement, c’est une blague. Michael était un homme bon incapable de faire du mal à qui que ce soit. Si une chose aussi grave m’était vraiment arrivée à moi ou à l’un de mes deux enfants, je n’aurais pas attendu trente ans pour porter plainte», riposte celui pour qui Jackson se prit d’affection en 1994.

«Je continue d’écouter régulièrement sa musique et apprécie particulièrement “We Are The World. Mon rêve est d’aller visiter sa tombe aux États-Unis même si je sais que je n’aurai certainement jamais les moyens de m’y rendre», déplore le rescapé sous l’immense cerisier dominant la cour de sa maison.

«Pourquoi moi?»

À l’intérieur, sa fille Kinga se gave de dessins animés dans sa chambre pendant qu’Héléna mitonne une casserole complète de spaghetti bolognaise qui suffirait à nourrir une compagnie d’infanterie tout entière. Tamás engloutit son assiette en deux temps trois mouvements et sort une bière du frigo même s’il ne court pas vraiment après l’alcool. Question de goût –rien à voir avec les séquelles de son intervention.

Au fil des gorgées, il explique son changement de prénom survenu après l’émancipation de ses parents d’adoption, sa reconnaissance indéfinissable envers Michael Jackson et son projet d’élargir sa famille. Le couple s’est engagé à avoir trois enfants auprès de l’État afin d’obtenir 2,5 millions de forints (7.843 euros environ) investis dans l’achat de la maison occupant l’emplacement d’une ex-épicerie clandestine.

«Je me demande souvent ce qui l’a poussé à me choisir au milieu des dizaines d’enfants ce jour d’août 1994.»

Tamás Farkas, greffé du foie

Tamás junior aura son propre repaire dans l’ancienne entrée du magasin quand papa et ses ami·es se seront débarrassé·es du bois pourri au sol et de l’odeur de renfermé de la pièce longtemps inoccupée. En attendant l’âge d’intégrer son refuge, le bambin passe ses nuits au milieu de ses parents dans le salon qui fait à la fois office de chambre à coucher avec télévision câblée, meubles à l’ancienne et souvenirs de la pop-star.

Grâce aux mains du professeur belge Jean-Bernard Otte et à la générosité inespérée du King of Pop, Tamás ne souffre plus physiquement mais un sentiment d’illégitimité ronge constamment son esprit.

«Je me demande souvent ce qui l’a poussé à me choisir au milieu des dizaines d’enfants rencontrés à l’hôpital Bethesda ce jour d’août 1994. Pourquoi s’est-il penché à mon chevet? Pourquoi s’est-il intéressé à mon sort alors que j’étais sur le point de mourir? Pourquoi m’a-t-il aidé? Pourquoi moi et pas un autre?» La question restera probablement sans réponse jusqu’à son dernier souffle.

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