Kupka, Mucha: la Bretagne vue par les artistes tchèques

Anonymous - © Malick MBOW
Anonymous – © Malick MBOW

Par Letizia Dannery, publié le

Frantisek Kupka, "La Vague" (détail), 1902.

Frantisek Kupka, « La Vague » (détail), 1902.

©Archive Galerie des beaux-arts d’Ostrava. ADAGP, Paris 2018

De l’Art nouveau au surréalisme, le littoral breton est devenu leur terre d’inspiration. Superbe éclairage à Quimper.

L’exposition présentée au Musée départemental breton est l’une des très belles surprises de l’été. Orchestrée, avec une magnifique limpidité, par Philippe Le Stum, directeur de l’institution quimpéroise, et Anna Pradova, conservatrice à la Galerie nationale de Prague, elle raconte comment des créateurs tchèques ont flashé sur la péninsule bretonne, des années 1850 au mitan du XXe siècle. Certains sont connus : Kupka, le pionnier de l’abstraction récemment plébiscité au Grand Palais ; Mucha, l’affichiste star de l’Art nouveau ; Toyen, la grande prêtresse du surréalisme. On découvre les autres, célèbres chez eux, moins chez nous, qui ont nom Brozic, Cermak, Krizek, ou Zrzavy. Zoom sur trois oeuvres phares.

La côte des Sables de Cermak

Il est le défricheur, celui qui « recommande chaudement la Bretagne à ses compatriotes artistes », précise Philippe Le Stum. Exilé à Paris, au début des années 1850, Jaroslav Cermak (1830-1878) découvre la péninsule grâce à son ami illustrateur Yan’ Dargent, originaire de la région. Le peintre tchèque s’éprend follement du nord-Finistère, jusqu’à se faire bâtir une « hutte de pêcheur » face à la mer. Chaque été, il vient s’y « reposer du fracas de la grande ville », nageant, ramant et traquant le poisson assidûment.

Jaroslav Cermak, "La vie sur la côte près de Roscoff", après 1869.

Jaroslav Cermak, « La vie sur la côte près de Roscoff », après 1869.

©Galerie nationale de Prague

Dans son refuge de la côte des Sables, ce fan de Delacroix, qui s’adonne, par ailleurs et volontiers, à la peinture historique, s’attache plutôt à composer des scènes du quotidien sur les rivages de la Manche, à l’instar de La vie sur la côte près de Roscoff, une toile spectaculaire (près de 2 mètres de long) figurant des récoltants d’algues coiffés d’un kalabousen (couvre-chef traditionnel) et munis d’une perche à crochet.

Les Bigoudènes de Mucha

Quand il déboule à Paris, à l’âge de 27 ans, pour parfaire sa formation à l’académie Julian, Alfons Mucha (1860-1939) arrondit ses fins de mois avec des illustrations que lui commandent éditeurs ou imprimeurs. L’affiche qu’il réalise de Sarah Bernhardt en Gismonda le rend illustre du jour au lendemain. On s’arrache ses dessins aux courbes d’inspiration ibérique, à l’élégance délicate, déclinés sur des calendriers, des cartes postales, des publicités… La « Divine », quant à elle, lui signe illico un contrat pour assurer la promotion de ses spectacles.

Alfons Mucha, à g.: "Bruyère de falaise - Panneau décoratif, calendrier 1906" (lithographie), 1905. A dr.: "Bruyère de falaise - Etude préparatoire pour le panneau décoratif" (crayon et aquarelle sur carton), 1901.

Alfons Mucha, à g.: « Bruyère de falaise – Panneau décoratif, calendrier 1906 » (lithographie), 1905. A dr.: « Bruyère de falaise – Etude préparatoire pour le panneau décoratif » (crayon et aquarelle sur carton), 1901.

©Serge Goarin / Musée départemental breton. ©Galerie nationale de Prague

Mucha a sûrement été l’hôte du fortin que la mythique actrice acquiert à Belle-Ile-en-Mer (Morbihan), au milieu des années 1890, où elle reçoit ses amis du gratin européen. Sur les panneaux décoratifs Bruyère de falaise et Chardon de grève, que Quimper expose au côté de leur étude préparatoire, l’affichiste est le premier artiste décorateur à emprunter des motifs à l’ancestrale broderie bretonne, telle la « plume de paon » (pleon pavenn), l’un des ornements emblématiques du costume bigouden.

La déferlante de Kupka

A 29 ans, son contemporain Frantisek Kupka est encore un jeune adepte du symbolisme lorsqu’il pénètre en Bretagne, dès l’année 1900, au cours d’un premier séjour à Trégastel (Côtes-d’Armor). Il y retournera. Les rochers de la côte de Granit rose le captivent, les éléments marins l’attirent irrésistiblement. C’est l’époque de La Vague, le chef-d’oeuvre de son inspiration bretonne, qu’il peint en 1902.

Frantisek Kupka, "La Vague", 1902.

Frantisek Kupka, « La Vague », 1902.

©Archive Galerie des beaux-arts d’Ostrava. ADAGP, Paris 2018

Sur cette toile empreinte de sensualité, la jeune fille rousse semble à la fois contempler et appréhender l’incontrôlable assaut des rouleaux d’écume. Le tableau évoque la fameuse déferlante d’Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (1831), qui voit une embarcation sur le point d’être engloutie par les flots. Comme nombre de maîtres occidentaux, le futur pionnier de l’abstraction était fasciné par les estampes du Japonais…

La note de L’Express : 17/20

« Artistes tchèques en Bretagne, de l’art nouveau au surréalisme » au Musée départemental breton, Quimper (Finistère), jusqu’au 30 septembre.

JEAN LE MOAL. A deux pas des cimaises tchèques (c’est donc l’occasion de faire coup double), le musée des beaux-arts de Quimper consacre une vaste rétrospective à Jean le Moal (1909-2007), figure de la non-figuration française et chantre de la couleur. De nombreux tableaux et dessins inédits éclairent le parcours, pour partie méconnu, du grand peintre d’origine bretonne. A voir jusqu’au 17 septembre.

Jean Le Moal, "Douarnenez", 1946.

Jean Le Moal, « Douarnenez », 1946.

Collection particulière, Paris ©Courtesy Galerie Applicat-Prazan, Paris

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