Israël-USA: l’ambassade de la discorde

 

 Par Vincent Hugeux, publié le , mis à jour à 

DOLNAD-TRUMPresident © Malick MBOW
DOLNAD-TRUMPresident © Malick MBOW

Donald Trump et Benyamin Netanyahu lors de la visite en Israël du tombeur d’Hillary Clinton, en mai 2017.

Ronen Zvulun / REUTERS

Décidé par Trump, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem attise le brasier régional.

On connaissait la diplomatie économique, si chère à Laurent Fabius, et ses cousines culturelle, sportive ou gastronomique. Place à la diplomatie immobilière, version Donald Trump. Quoi de plus logique pour un flibustier du foncier bâti égaré en politique ? Célébré avec tambours et trompettes ce lundi -soit le jour même du 70e anniversaire de l’Etat d’Israël-, le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, annoncé le 6 décembre dernier, sculpte dans la pierre les contours de la doctrine géopolitique aventureuse du tombeur d’Hillary Clinton. Lequel a pourtant renoncé à honorer de sa présence la cérémonie, y déléguant sa fille et conseillère Ivanka, flanquée de son époux Jared Kushner, juif orthodoxe proche du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et sherpa de beau-papa sur les dossiers proche-orientaux, ainsi que du n° 2 du département d’Etat, John Sullivan.

Au bon souvenir de la Bible Belt

Certes, le locataire de la Maison Blanche ne fait là encore qu’inscrire dans les faits un serment de campagne. Serment qui lui valut l’adhésion fervente de l’électorat évangélique de la Bible Belt, acquis au sionisme conquérant de « Bibi » et des faucons qui l’entourent. Une mouvance avec laquelle fraie par ailleurs le vice-président Mike Pence. Reste que s’il consacre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu, le déménagement à haute teneur symbolique ne respecte qu’imparfaitement le cahier des charges de l’agence Trump&Co.

Car la nouvelle chancellerie se borne dans l’immédiat à squatter les locaux du consulat, installé dans le quartier périphérique et verdoyant d’Arnona, en attendant qu’une nouvelle US Embassy sorte de terre promise. Ce qui pourrait prendre quelques années. Où et quand précisément ? Mystère. Pour l’heure, on ignore tout de l’emplacement choisi comme de la date de livraison du chantier. D’ici là, l’ambassadeur David Friedman et son équipe continueront donc de naviguer entre la métropole côtière et les hauteurs de la Cité trois fois sainte.

Jared Kushner et Ivanka Trump à leur arrivée à l'aéroport de Rome, le 23 mai 2017.

Jared Kushner et Ivanka Trump à leur arrivée à l’aéroport de Rome, le 23 mai 2017.

afp.com/MANDEL NGAN

Un transfert qui vient de loin

Si irréfléchie et provocatrice soit-elle au regard des menaces d’embrasement qui obscurcissent l’horizon régional, la décision de Trump entérine une inflexion amorcée voilà plus de deux décennies, à l’époque du démocrate Bill Clinton. A compter de 1995, Washington ne considère plus la partie orientale de Yerushalayim –al-Qods pour les Arabes-, conquise en 1967 et annexée de fait, comme faisant partie intégrante des territoires occupés. La même année, le Sénat adopte à la quasi-unanimité le Jerusalem Embassy Act, lequel enjoint à l’exécutif de transférer l’ambassade avant 1999.

Sommation à laquelle tous les présidents -y compris Donald Trump en juin dernier- opposeront leur veto semestriel. Période révolue. Notons au passage que lors de sa campagne victorieuse de 2008, Barack Obama lui-même endossera le dogme israélien élevant la ville au rang de « capitale éternelle et indivisible » d’Israël, dogme sacralisée par une loi que vota en 1980 la Knesset, et ce au mépris du droit international. Indivisible, mais si divisée…

Un appel d’air au souffle court

Continuons de remonter le cours du temps. Dans les années 1970, Jérusalem abrite, outre l’ambassade des Pays-Bas, les chancelleries de maints pays africains, latino-américains et caribéens. Et seule la guerre du Kippour (1973) incitera ceux-ci à rompre avec Israël et à plier bagage, quitte à reprendre pied quelques années plus tard à Tel Aviv. Citons la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, le Zaïre -aujourd’hui République démocratique du Congo- du maréchal Mobutu, le Kenya, la Bolivie, le Chili, la Colombie, le Panama, l’Uruguay, le Venezuela, la République dominicaine ou Haïti. Quant au Costa Rica et au Salvador, revenus dans la Ville sainte dès 1984, ils en repartiront en 2006.

Cela posé, ce tropisme latino a de beaux restes. Sauf contrordre, le président guatémaltèque Jimmy Morales imitera l’Oncle Sam le 16 mai, précédant en cela son homologue du Honduras Horacio Cartes, annoncé le 21 ou 22 en compagnie de son successeur élu, Mario Abo Benitez. Prémices d’une lame de fond ? Pas vraiment. Condamné en décembre dernier par 128 des 193 membres de l’Assemblée générale de l’ONU -dont la France et le Royaume-Uni-, le coup d’éclat trumpien n’aura pas, loin s’en faut, suscité l’effet d’entraînement escompté en Israël. « Au moins une demi-douzaine de pays », claironne sans les citer Benyamin Netanyahou, seraient prêts à franchir le pas. Dont, selon toute vraisemblance le Honduras, le Soudan du Sud et les Philippines. Maigre migration, même si, tel un bateleur de foire, l’icône du Likoud promet un « traitement de faveur » aux dix premiers volontaires.

La Première ministre roumaine Viorica Dancila au Mémorial de l'Holocauste de Yad Vashem, à Jérusalem, en avril 2018

La Première ministre roumaine Viorica Dancila au Mémorial de l’Holocauste de Yad Vashem, à Jérusalem, en avril 2018

afp.com/GALI TIBBON

Le raté roumain

Sur le front européen, « Bibi » a cru rallier la Roumanie, seule nation de l’ex-bloc communiste à avoir maintenu ses relations avec Israël au lendemain de la Guerre des Six-Jours (1967). Ralliement annoncé prématurément par l’influent Liviu Dragnea, chef du Parti social-démocrate, privé de la primature par sa condamnation à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale et poursuivi dans une affaire de corruption. « Tel était notre souhait, a admis voilà peu Viorica Dancila, Première ministre en titre. Mais nous ne disposons pas hélas du soutien de tous les partis. »Et surtout pas de celui du chef de l’Etat de centre-droit, Klaus Iohannis.

Scénario inversé en République tchèque, l’allié le plus sûr d’Israël au sein de l’Union européenne. Le président Milos Zeman plaide en faveur du transfert. « Si vous le faites, lui aurait promis Netanyahu, je vous cède ma propre maison ». Las !, son gouvernement s’y refuse et s’en tient à la réouverture d’un consulat honoraire et à la création prochaine d’un Centre culturel tchèque ; le tout à Jérusalem-Ouest.

Attention, matière inflammable

En Israël comme en Iran, Donald Trump s’ingénie à battre le briquet au coeur d’une poudrière. Réprimées à balles réelles, les émeutes survenues à la lisière de la bande de Gaza, territoire surpeuplé, asphyxié depuis des lustres par le blocus israélien et livré à l’arbitraire des islamistes du Hamas, ont coûté la vie à une cinquantaine de Palestiniens. Et tout indique que les manifestations prévues ce lundi alourdiront le bilan.

D’autant que, si l’Etat hébreu souffle ses 70 bougies, le « peuple sans terre » commémore demain la nakba -« catastrophe » en arabe-, référence à l’exode de centaines de milliers d’Arabes chassés de leurs villages ou incités à fuir en 1948. Voilà pourquoi les services de renseignement israéliens, souvent plus lucides que les élites politiques locales, jugeaient hasardeux, dans un tel contexte, le déplacement controversé.

Un Palestinien armé d'un lance-pierre lors d'affrontements avec les forces israéliennes, près de la "barrière de sécurité" entre la bande de Gaza et Israël, le 11 mai 2018.

Un Palestinien armé d’un lance-pierre lors d’affrontements avec les forces israéliennes, près de la « barrière de sécurité » entre la bande de Gaza et Israël, le 11 mai 2018.

afp.com/SAID KHATIB

Conséquence logique dudit déplacement, le compte Twitter de l’ambassade des Etats-Unis a changé. Les followers sont désormais priés de suivre @usembassyjlm. JLM pour Jérusalem ; même s’il est tentant d’y lire, en version française, les initiales du précepte qu’inspirent à Trump les règles du droit : je les méprise.

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