Taxe sur l’aluminium et l’acier : «Trump ouvre la voie à des représailles»

 

 

HARLEY CONTRE ACIER © Malick MBOW
HARLEY CONTRE ACIER © Malick MBOW

Par Vittorio De Filippis — 2 mars 2018

Les partenaires commerciaux des Etats-Unis ont vivement réagi vendredi à l’annonce du président américain d’imposer certaines importations. Entretien avec l’économiste Philippe Chalmin.

Taxe sur l’aluminium et l’acier : «Trump ouvre la voie à des représailles»

En annonçant jeudi que les Etats-Unis allaient imposer, dès la semaine prochaine, des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur l’aluminium, le président américain a provoqué un tollé mondial. D’abord sur les marchés financiers. Ces derniers, inquiets d’une possible contraction du commerce mondial sur fond de guerre commerciale, ont massivement vendu les actions d’entreprises qui pourraient subir le contrecoup de la décision de Donald Trump. Les réactions ne se sont pas fait attendre. L’Union européenne «va réagir fermement et proportionnellement pour défendre ses intérêts», a rétorqué le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ajoutant que Bruxelles présenterait «dans les prochains jours une proposition de contre-mesures contre les Etats-Unis, compatibles avec les règles de l’OMC [Organisation mondiale du commerce], pour rééquilibrer la situation». Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie, a prévenu qu’une guerre commerciale «ne fera[it] que des perdants».

Premier producteur d’acier, la Chine s’est cette fois abstenue d’évoquer d’éventuelles mesures de rétorsionEnfin, même l’OMC, d’ordinaire plutôt avare en commentaires, n’a pas manqué de réagir : «L’OMC est clairement préoccupée par l’annonce des plans américains concernant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium.»

Entretien avec Philippe Chalmin, président de l’Observatoire des prix et des matières premières et coordinateur de Cyclope, rapport annuel sur les matières premières.

Faut-il s’inquiéter de l’annonce de Trump ?

La décision unilatérale des Etats-Unis sur les importations d’acier et d’aluminium donne désormais le droit à ses partenaires commerciaux de répliquer notamment en déposant des recours auprès de l’OMC. Et contrairement à se qui est dit, l’opération acier-aluminium vise aussi la Chine, même si les Etats-Unis n’importent que 2 % de leur acier en provenance de la Chine. Je crois que Trump n’épargne personne, ni ses voisins les plus proches comme le Canada ou le Brésil, ni d’autres pays comme la Corée du Sud.

Quels seront les effets d’un recours auprès de l’OMC ?

S’agissant du protectionnisme, Trump fait ce qu’il a dit pendant sa campagne. Et d’ailleurs, la dernière conférence ministérielle de l’OMC, en décembre, était un avant-goût de ce que nous vivons aujourd’hui. A l’époque, il n’y a eu aucune avancée sur les discussions qui étaient à l’ordre du jour. Et pour cause, sur fond de montée en puissance de la volonté de Trump d’aller vers plus de protectionnisme, les Etats-Unis ont tout fait pour bloquer la moindre discussion. L’idée d’un commerce international ouvert et réglementé risque d’en prendre un coup s’ils continuent sur leur voie. Et de toute évidence, ce risque va se concrétiser. En déterrant la hache de guerre, Trump vise la Chine. C’est une manière de dire aux Chinois : ce n’est qu’un début, la prochaine fois, vous serez bien plus concernés par le protectionnisme américain que vous ne l’êtes aujourd’hui sur l’acier et l’aluminium.

Avec tous les dangers que cela peut impliquer…

Oui, bien sûr. N’oublions pas cette phrase «extraordinaire» de Trump qui déclarait pendant sa campagne «il y a moins de Chevrolet à Berlin qu’il n’y a de Mercedes à New York». Comprendre : c’est nous qui sommes perdants. Et ça a marché, les Américains ont adhéré à ce discours. Rappelons que l’administration Trump a abandonné l’accord de libre-échange transpacifique, et laisse entendre qu’elle va remettre en cause l’Alena, accord avec le Canada et le Mexique, ce qui va encore affaiblir l’OMC.

Comment s’opère cet affaiblissement ?

Par le verbe : Trump n’a cessé de répéter que les Etats-Unis pourraient se passer de ce lieu qui organise le multilatéralisme commercial. Par des actes : il y a eu le blocage provoqué par les Etats-Unis sur la question de la nomination de nouveaux juges de l’OMC, cet ORD [Organe de règlement des différends] dont le rôle est comparable à celui d’une Cour de cassation. Cette instance compte sept membres, mais deux postes restent vacants depuis l’été. En clair, l’ORD est déjà inopérant.

Quel serait l’impact de la décision américaine sur le commerce mondial ?

La croissance mondiale se nourrit de ces échanges commerciaux. Même le Fonds monétaire international a mis en garde contre toute tentation protectionniste qui pourrait menacer l’embellie planétaire qui se caractérise par un taux de croissance de près de 4 %. Mais les effets de ces taxes sur l’environnement macroéconomique vont dépendre de leur impact sur la confiance des entreprises, des ménages et des marchés financiers. Reste que ces taxes auront un impact certain sur les pays qui exportent de l’acier ou de l’aluminium vers les Etats-Unis.

Quelles vont être les mesures de rétorsion ?

Trump ouvre la voie à des représailles. Et ces mesures de rétorsion, si elles devaient se concrétiser, ne manqueront pas d’affecter durement d’autres secteurs de l’économie américaine. D’ailleurs, il semblerait que les agriculteurs américains ne voient pas d’un très bon œil l’annonce de Trump. Ainsi, les céréaliers craignent des taxations sur leurs exportations de soja, notamment à destination de la Chine… Mais je ne crois pas, comme certains ont tendance à l’affirmer, que les Chinois vont arrêter d’acheter des bons du Trésor américains comme ils le font, en quantité, depuis des années.

Vittorio De Filippis

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