Un rapport de l’ONU remet la pression sur le prince héritier d’Arabie saoudite

Mohammed-Bin-Salman-Al-Saud © Malick MBOW
Mohammed-Bin-Salman-Al-Saud © Malick MBOW
Anuj CHOPRA
AFP

Ryad (AFP) – L’Arabie Saoudite pensait en avoir fini avec l’affaire du meurtre de Jamal Khashoggi, mais la publication par une experte de l’ONU d’un rapport impliquant le prince héritier Mohammed ben Salmane dans la mort du journaliste saoudien a remis la pression sur le royaume.

Dans son rapport de 101 pages publié mercredi à Genève, la rapporteure spéciale des Nations unies Agnès Callamard tient l’Arabie saoudite pour « responsable » de l' »exécution extrajudiciaire » de Khashoggi, mort brutalement en octobre à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul.

Elle suggère une enquête supplémentaire ainsi que des sanctions contre le prince Mohammed, surnommé MBS, dont l’image a été fortement ternie après ce meurtre qui a suscité un tollé dans le monde.

Ryad a rejeté le rapport qui remet l’affaire au centre de l’actualité mondiale au moment où la pression s’accentue sur ses alliés occidentaux pour qu’ils interrompent leurs ventes d’armes au royaume.

Ces révélations, qui comprennent des retranscriptions d’écoutes dans lesquelles le journaliste est qualifié « d’animal à sacrifier », risquent aussi de conforter le sentiment anti-saoudien au Congrès américain, même si MBS bénéficie du soutien de Donald Trump.

« Un nouveau cycle de crise vient de s’ouvrir », a écrit sur Twitter l’analyste Joseph Bahout, du groupe réflexion américain Carnegie Endowment. « Et avec lui un nouvel épisode de gêne internationale pour l’Arabie Saoudite ».

Jeudi, la Grande-Bretagne a annoncé qu’elle suspendait l’attribution à Ryad de nouveaux contrats de ventes d’armes qui pourraient être employés dans la guerre au Yémen, après une décision de la cour d’appel de Londres les jugeant non conformes au droit.

Cette décision n’est pas liée au rapport de l’ONU qui ne devrait toutefois avoir aucune répercussion en Arabie Saoudite, la mainmise du prince « semblant absolue », estime Hussein Ibish, du Arab Gulf States Institute de Washington.

« Le plus inquiétant est la progression du sentiment anti-Saoudien au Congrès », a-t-il assuré à l’AFP. Car, « du point de vue saoudien, la relation avec Washington est essentielle ».

– « Du grain à moudre »

Cette semaine, les législateurs américains ont tenté une nouvelle fois de bloquer les ventes d’armes, d’une valeur de 8,1 milliards de dollars, à Ryad et à ses alliés du Golfe.

Le mois dernier, le président Trump est passé outre à la procédure classique, qui requiert l’approbation du Congrès, citant le risque posé par l’Iran.

Même si le rapport Callamard n’a pas apporté de preuve liant définitivement le prince Mohamed au meurtre, il a estimé qu’il était « inconcevable » qu’il ait pu avoir lieu sans qu’il en soit informé.

Le texte cite des écoutes téléphoniques turques dans lesquelles le démembrement du journaliste est évoqué, avant même qu’il ne pénètre dans le consulat d’Arabie Saoudite où il a été tué. Son corps n’a toujours pas été retrouvé.

Le rapport ajoute que les lieux du crime ont été « soigneusement nettoyés » après le meurtre.

L’Arabie Saoudite a lancé des poursuites contre onze suspects, qu’elle n’a pas identifiés mais le rapport estime qu’une équipe de 15 hommes était arrivée à Istanbul à bord de deux jets privés pour cette mission qui nécessitait donc « une coordination gouvernementale, des ressources et des finances ».

Le ministre d’Etat saoudien aux Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, a estimé que le rapport était rempli de « contradictions évidentes » et « d’allégations infondées ».

Il a ajouté que des diplomates des pays membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que de Turquie, étaient autorisés à assister au procès des onze accusés dans cette affaire.

Les débats se déroulent en arabe, ont indiqué à l’AFP des sources diplomatiques. Les diplomates n’ont pas le droit d’être assistés d’interprètes et ne sont prévenus qu’en dernière minute.

L’Arabie saoudite a tenté de tourner la page de l’affaire Khashoggi alors que MBS cultive l’image d’un prince réformiste.

La participation en avril à Ryad d’hommes d’affaires de haut niveau à un forum international d’investissement suggérait qu’ils étaient prêts à renouer avec le royaume, les répercussions du meurtre semblant s’affaiblir.

Mais le rapport « pourrait accroitre les risques pour la réputation d’entités américaines faisant des affaires en Arabie Saoudite », explique à l’AFP Ryan Bohl, du groupe américain de réflexion stratégique Stratfor.

Et « il pourrait donner du grain à moudre » aux critiques saoudiens exilés dans des capitales occidentales, « et les soutenir dans leur opposition ».

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