Le Bénin secoué par des violences post-électorales

 

Yaya BONI - © Malick MBOW
Yaya BONI – © Malick MBOW

Par RFI Publié le 02-05-2019 Modifié le 03-05-2019 à 02:49

Des centaines d’opposants béninois sont redescendus dans les rues de Cotonou ce jeudi 2 mai, où ils ont érigé des barricades enflammées pour défier les forces de l’ordre. Selon un témoin présent au sein de la résidence de l’ancien président Boni Yayi, l’armée béninoise et la police sont intervenues à deux reprises ce jeudi dans le quartier de Cadjéhoun, où se situe le domicile de l’ex-chef d’État. Selon les informations de RFI, le bilan est de deux morts. Et l’armée est déployée à des carrefours stratégiques.

La police et l’armée ont donné l’assaut à deux reprises ce jeudi contre la résidence de l’ancien chef de l’État à Cotonou. D’après les informations récoltées par RFI sur le terrain, deux personnes au moins ont été tuées dans l’intervention de l’armée appelée en renfort de la police. Les corps des victimes ont été déposées à la morgue. Et deux blessés ont également été admis en salle d’opération.

Sur les circonstances, l’avocat de Boni Yayi accuse l’armée d’avoir, « tiré sur la foule ». Le gouvernement n’a pas encore réagi, la hiérarchie militaire non plus.

Le calme est finalement revenu à Cadjéhoun dans la nuit. Il n’y a désormais plus de militants dans le secteur depuis les incidents de ce jeudi. L’armée a pris le contrôle du maintien d’ordre sans éclipser la police. Camions et jeeps militaires circulent.

À noter que la violence semble s’être propagée au nord du pays. À Kandi, l’une des principales usines de coton du pays a été incendiée dans la nuit. Tout un symbole, puisqu’on sait que le président Patrice Talon a fait fortune dans ce secteur avant de se lancer en politique.

Selon les informations de RFI, il y a eu une vingtaine d’interpellations à Cotonou. D’après le gouvernement parmi les meneurs figurent des étrangers. Ils seront présentés aujourd’hui au procureur.

« Fausse information »

Police et armée sont déployées dans les rues de Cotonou depuis mercredi pour faire face à des manifestations spontanées, deux jours après la tenue de législatives contestées. Du côté des autorités, on affirme que c’est une « fausse information » – la rumeur de l’arrestation de l’ancien chef de l’État Boni Yayi, passé à l’opposition – qui a mis le feu aux poudres.

Des dizaines de partisans de l’ex-président ont dressé dès mercredi après-midi des barricades enflammées autour de sa résidence encerclée par la police. Et la tension est montée d’un cran dans la nuit de mercredi à jeudi, lorsque les proches de Boni Yayi, toujours retranchés dans la maison, ont entendu des coups de feu, juste après une coupure d’électricité dans le quartier de Cadjéhoun.

Jeudi matin, on a appris qu’un homme est décédé des suites de ses blessures à l’hôpital. Une femme a également été touchée par les tirs et un troisième manifestant a eu le bras amputé, après avoir saisi une grenade lacrymogène lancée par la police.

Les autorités, elles, continuent de minimiser la crise. Après plusieurs démentis, le ministre de l’Intérieur a tout de même admis que la police avait fait usage d’armes létales dans la nuit de mercredi à jeudi. Il a promis une enquête et des sanctions.

Abstention record aux législatives

Ces événements surviennent juste après l’annonce mardi soir d’un taux d’abstention record pour les élections législatives au Bénin. La participation ne dépasse pas 23%. Il faut dire que l’opposition avait appelé au boycott de ce scrutin dont elle a été écartée. Seuls deux partis proches du président Patrice Talon étaient représentés, toutes les listes d’opposition ayant été invalidées.

En cause : une refonte récente du Code électoral, extrêmement contraignante, a laquelle les partis d’opposition n’ont pas pu se conformer. Cette réforme qui visait officiellement à « assainir la multitude de partis enregistrés »  a provoqué un mouvement de contestation durement réprimé.

Depuis le mois de février, les rassemblements syndicaux, et les manifestations de l’opposition sont interdits. Systématiquement dispersés à coup de gaz lacrymogène. Amnesty International a  mis en garde contre ce tour de vis et un risque « d’agitation politique ». De leur côté, les chefs de l’opposition ont dénoncé un « coup d’État institutionnel ». Lundi soir, les principaux responsables de l’opposition se sont réunis pour demander au président Patrice Talon d’annuler le scrutin controversé de dimanche. Ils ont lancé un ultimatum, pour stopper le processus électoral avant mardi soir.

Non seulement le chef de l’État ne leur a pas répondu, mais mercredi la police encerclait donc la maison dans laquelle se trouvait les deux anciens présidents Thomas Boni Yayi et Nicéphore Soglo.

« Guerre psychologique » entre Boni Yayi et Patrice Talon

Selon un analyste sur place contacté par RFI, la situation est tout à fait inédite. Jusque là, le Bénin était réputé être un modèle de démocratie, avec une alternance politique depuis 1990. Cet observateur affirme que l’on peut « s’attendre à tout » dans les prochains jours, si un dialogue n’est pas ouvert rapidement entre l’opposition et le président Patrice Talon, réputé pour son jusqu’au-boutisme.

Le dialogue est d’autant plus difficile qu’il existe une vieille animosité entre le chef de l’État et Thomas Boni Yayi qui se pose aujourd’hui en défenseur d’une « démocratie apaisée ». Cet analyste s’inquiète en tout cas de voir cette « guerre psychologique » entre les deux hommes dégénérer et créer une polarisation au niveau national.

Il subsiste beaucoup d’incertitudes au Bénin alors que la Cour constitutionnelle doit encore confirmer les grandes tendances de cette élection législative monopolisée par les proches du président.

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