Monsieur le Président, c’est donc fait !

LAMINE SALL© Malick MBOW
LAMINE SALL© Malick MBOW
                                      Amadou Lamine Sall
    Poète
          Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
          Monsieur le Président, c’est donc fait ! Vous êtes de nouveau réélu à la tête de l’État du Sénégal ! Non sans bruit ! Mais les bruits comme les contestations sont consubstantiels à la conquête du pouvoir, jusque dans les démocraties jugées les plus hautes. La démocratie est une femme rebelle! Le terme de « peuple », aussi ! Mais, nous n’avons pas grand choix : « L’onction populaire des gouvernants est pour nous la principale caractéristique d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du pouvoir s’est imposée avec la force de l’évidence. Il faut choisir entre le principe électif et le principe héréditaire. Le fait que le vote de la majorité établisse la légitimité d’un pouvoir a en effet aussi été universellement admis comme une procédure identifiée à l’essence même du fait démocratique ». Je cite, naturellement, Pierre Rosanvallon dans « La légitimité démocratique. »
          Monsieur le Président, tout va aller très vite pour vous maintenant. 2024, c’est déjà demain ! Macky Sall sait d’où il vient. Il sait qui il est. Il sait ce qu’il a déjà donné à son pays et ce qui lui reste à lui donner. Il n’a jamais reculé. Il n’a jamais rien lâché ! Il a la mâchoire solide ! Il n’a jamais eu peur ! Il a affronté son opposition hérissée et ne lui a cédé aucun pouce. Le dialogue politique en a pâti ! Peut-être avait-il pensé que « l’on ne peut obtenir des victoires militaires sans faire la guerre » ! Il a écouté anciens et chefs spirituels sans toujours obéir. Ce choix a été le sien ! Il a choisi de ne pas plaire à tout le monde ! Il s’est assumé ! Sans doute qu’il ne cerne pas encore ce qu’il ne faudra pas faire avec ce second mandat, mais il pourrait se décider de faire ce que jusqu’ici, il s’est refusé de faire. Ce sera encore son choix ! Il est seul ! Un Président est toujours seul. L’histoire retiendra la pudeur et la touchante civilité d’un homme, mais aussi le masque de fer, la fermeté et le flegme d’un homme d’État intransigeant qui, impassiblement, presque sans âme, a montré du caractère en déroulant son programme politique. L’opposition avait en face d’elle une statue ! Macky Sall n’est pas souple, dit-on, mais pour autant il n’est pas inexorablement glacial ! Pour peu qu’on le scrute, on lit un homme d’État pétrifiée par la grandeur de sa mission. Ses proches disent que c’est un irrésistible chahuteur, taquin et rieur ! Il faut les croire !
          Quand Youssou Ndour – artiste étoilé, chanteur conquérant, sacré souteneur et intrépide partisan – fait danser Macky Sall en l’acculant, en le provocant, ce dernier est  fusillé. Laissons-le donc danser ! Un candidat qui danse n’est pas un Chef d’État qui gouverne ! Quand Macky Sall danse, il respire enfin ! Il n’est rien d’autre qu’un homme et nous sommes tout de même les hommes de la danse, comme écrivait le poète, quoique cela puisse irriter ! Provoquant, un sage Sénégalais avouait ceci d’identitaire : « Chaque père de famille garde dans sa maison un
« tama», quelque part dans une malle » -le «tama» est un petit tam-tam d’aisselle dont on dit qu’il est l’instrument préféré du diable, irrésistible et inévitable-
          La priorité, vous la connaissez Monsieur le Président. C’est vous même qui l’avez tout de suite identifiée : la jeunesse ! Elle sera de vos repas tous les jours. Elle vous accompagnera chaque soir au lit. Vous savez que la jeunesse sénégalaise apprend à vivre avec des béquilles. Elle vous attend et comme vous n’avez jamais peur, vous viendrez à sa rencontre.  La continuité sera certes, votre crédo, mais votre longue autoroute à des ponts, des bretelles, des bifurcations. Ne les ignorez pas. Tournez l’angle des rues et des boulevards, pour aller à la rencontre d’autres attentes. Il y aura peu à dire sur vos projets d’infrastructures. Coûteuses ou non, le « bissap » est tiré et il faut le boire ! Chacun y mettra son taux de sucre ou forcé de le boire brut ! Votre ville nouvelle « Diamniadio-KorMarième » -joli nom-, ne rebroussera pas chemin. Après 2024, votre successeur ne pourra plus divorcer avec elle. C’est une femme qui aura donné beaucoup d’enfants qui la défendront les premiers. Votre TER aura fini d’arriver dans le hall de l’aéroport Blaise Diagne. Nous l’espérons.
              Monsieur le Président, des citoyens admirables rêvent de voir un Macky II bouleverser tous les schémas, même si, dit-on, vous n’êtes pas homme à changer facilement de voiture. Ces citoyens souhaitent que vous fermiez toutes les portes de l’histoire pour 50 ans à tous vos successeurs de demain. Pour cela, vous quitteriez enfin vos fonctions de chef de parti ! Vous mettriez les distances qu’il faut avec le judiciaire pour sauvegarder l’indépendance de la justice ! Vous appliqueriez enfin le statut de l’opposition. Vous réfléchiriez, par un consensus général, à proposer constitutionnellement un unique mandat de huit ans, non seulement pour mettre à l’abri le président de la République de toute prise d’otage politique et libérer les Sénégalais des luttes politiques fratricides pré-électorales. Également, vous réfléchiriez librement à un gouvernement qui aérerait la Salle Bruno Diatta ! Quant à l’Assemblée nationale, évidemment que vous avez besoin de votre majorité pour gouverner. Vous n’y toucherez donc pas, sauf si, surprise, l’homme des classiques grecs, le reposant disciple bien-aimé de Senghor, vous offrait son repos en cédant généreusement le perchoir et vous faciliter la tache dans votre prochain et si urgent jeu de domino ! En somme, tout le monde se demande ce que Macky Sall va finalement faire pour trouver un fauteuil à chacun ! Vous avez gagné avec certains et vous avez perdu avec d’autres, mais c’est ensemble que votre coalition a gagné ! Tous ont montré leur engagement et leur zèle, même si vous savez ce que pèse chacun ! Vous assumerez ! Des citoyens admirables souhaiteraient toujours vous voir mettre de l’ordre dans les grandes directions générales de notre historique administration. Elle a mal ! Libérez-là des partis politiques, tous confondus ! Protégez les soldats de l’Administration et guérissez les de leur parti-pris, de leur égarement moral, de leurs calculs pour prébendes, de leurs ambitions justifiées certes, mais pas en piétinant le mérite et en refusant de faire la queue ! C’est là une pressante et infaillible demande populaire !
            Monsieur le Président, des citoyens admirables pensent que vous avez la chance d’être enfin un homme politique libre, même si cela n’existe pas. En effet, vous allez exercer votre dernier mandat. Seule votre conscience vous lie ! Vous avez tout donné, dit-on, à ceux qui partageaient votre combat de sept ans ! Vous ne leur devez plus rien, dit-on ! Pas sûr ! Vous pouvez, dit-on encore,  changer « le système » à votre manière, si « système » il y a ! Apparemment, ce qui est appelé « système » et dont le terme fait mouche qu’on le veuille ou non,  c’est la manière de partager et de conférer du pouvoir et de la monnaie à des institutions dont, pour certains, on se passerait volontiers ou à des femmes, des hommes du même clan politique. Mais n’est-ce pas la règle partout, même si cela n’excuse pas les pratiques ? C’est à vous, Monsieur le Président, de décider du mode et du poids que prendra le renouveau, le dégraissage, l’encombrement ! En somme, on vous demande de surprendre, maintenant que vous n’avez plus besoin d’amulettes !
          Monsieur le Président, n’assistez pas à l’affaiblissement de la culture. Nourrissez les grands chocs esthétiques de l’histoire sénégalaise et africaine des arts, des lettres et de la culture. Placez encore plus la culture au cœur de votre quinquennat. Elle arbitrera votre légende.  Elle seule écrira les plus belles pages de votre vie d’homme d’État. Elle seule vous garantira l’éternité. Elle seule sera votre rempart contre le mauvais temps de l’histoire. La culture est le plus affiné des cadres d’un bel idéal démocratique ! Elle vous donne à « voir clair, vite et loin ». C’est la culture seule, en pensant à Confucius, qui fait que la noblesse de l’esprit est supérieur à la noblesse du sang ! Donnez du poids à la recherche ! Donnez de l’avenir et du savoir à nos universités ! Refondez l’école sénégalaise quel que soit le poids de la douleur ! Protégez encore mieux vos artistes, vos écrivains, vos cinéastes ! Soutenez partout la promotion de l’esprit d’entreprise ! Jeter un pont du retour à toute cette diaspora noire qui a le Sénégal dans le cœur ! Donnez-une respiration à notre mémoire noire commune ! Rendez-plus visible notre patrimoine ! Protégez le patrimoine de la vieille ville de Dakar ! Ne laissez pas assassiner davantage et notre corniche et notre littoral ! Enrôler l’Ordre des architectes pour être votre bras armé ! Créer un Pôle citoyen-État pour l’écologie et la protection de l’environnement ! Prenez le temps de décider souverainement en reconsidérant avec justice et célérité le redimensionnement et la  monstruosité génocidaire du projet de port de Ndayane-Yène-Popenguine-Toubab Dialaw ! Outre vos directives au Conseil des ministres du 12 décembre 2018, d’achever le processus d’érection du Palais des arts et le Mémorial de Gorée, ajoutez-y, comme vous l’avez réussi pour Diamnianio avec un décisif partenariat international, la réalisation de la Bibliothèque nationale et les Archives du Sénégal, un Palais des Beaux-arts avec, en son sein, une École des Beaux-arts, une École nationale de la danse traditionnelle et moderne, une École de la photographie, une École d’architecture. Ressusciter le projet du Mobilier National ! Protégez le livre et soutenez l’édition nationale du livre scolaire auprès de votre ministre de l’Éducation ! Protégez d’urgence les maitres d’éducation artistique et imposez-les afin que la créativité nourrisse l’esprit de nos enfants. Depuis sept ans, le Village des arts s’impatiente de vous recevoir. Le roi Mohammed VI y est passé en dévalisant tous les ateliers ! La culture se nourrit aussi de la présence physique des princes.  Faites revivre le Commissariat aux expositions d’art Sénégalais à l’étranger en reprenant la route du rayonnement de nos arts à l’international. C’est une diplomatie qui n’a pas de prix ! C’est à votre portée ! Inscrivez-le ! Ajoutez des étoiles au Sénégal !
          Monsieur le Président, montez plus haut que tous et allez vers le dialogue politique. Apaisez le climat ! Cherchez le consensus là où il est indispensable pour l’unité du peuple sénégalais ! Bien sûr, les impasses et les rejets seront sur votre route.  Mais persistez, laissez votre porte ouverte et que votre peuple en soit le témoin et l’arbitre !  C’est cela que l’histoire retiendra ! Notre peuple sait reconnaître la vérité quand il s’agit d’aller vers la paix, l’unité, le respect de chacun. Nos institutions sont le régulateur de notre unité nationale. S’il arrive qu’elles soient indexées, il importe d’agir ! Procédons à l’évaluation de notre code électoral en y adjoignant ceux qui, hier, auprès de Kéba Mbaye le glorieux, avaient pris part à sa rédaction, comme le juge Tafsir Malick Ndiaye, « la montagne tranquille ». Tuons désormais tout soupçon de corruption du suffrage des Sénégalais. Instituons une fois pour toute une autorité indépendante de régulation des élections ! Rénovons partout ou le consensus citoyen et politique nous le demande. Que notre démocratie soit parmi les plus protégées au monde. Ce  jour arrivera ! Alors, pour l’histoire, faites qu’il arrive avec vous Monsieur le Président! Nous gagnerions du temps ! Le pouvoir, dit-on, est une arme politique surdimensionnée ! Voilà la mauvaise raison qui fait croire que toutes les institutions  « rentrent à l’écurie avec une bonne poignée d’avoine » !
        Monsieur le Président, faites vite une offre de paix, d’échange, de dialogue, non pas seulement aux 58, 27 % des Sénégalais qui vous ont bâti une maison dans leur cœur, mais aux autres 20,50%, 15,67%, 1,48%, 4,07% dont vous serez le Président. Ne vous lassez pas de travailler pour  la paix et de toujours rechercher la paix. Fermez votre cœur à l’impitoyable loi de l’adversité politique. L’opposition est à saluer. Elle est reconnue par les institutions. Elle participe de la fiabilité de notre démocratie. Nous en avons besoin comme nous avons besoin des gouvernants. Un oiseau a besoin de deux ailes pour voler ! C’est le Sénégal qui vole ! Atténuons nos différents pour voler ensemble ! Si demain le Sénégal devient riche, il faut que les Sénégalais aussi le deviennent. Mais en travaillant. Une fois de plus, 2024, c’est déjà demain ! Partez, Monsieur le Président,  avec un nom aussi grand et aussi beau que votre pays !
              Ce pays est un pays de foi et de foi qui date. Nous continuerons à prier même si plus que le pétrole et le gaz, nous possédons des puits insondables de sourates et de gisements infinis de prières pour les millénaires à venir. Mais, au-delà des prières et des sourates, nous devons compter sur notre propre travail, notre propre volonté de bâtir une démocratie en sachant que la démocratie ne vaincra pas la misère, mais quelle peut aider à  la rendre moins cruelle dans un partage équitable des biens, dans  la justice.
          Monsieur le Président, bonne chance, bonne route et que Dieu bénisse Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang, Issa Sall  et ses candidats de demain, hommes et femmes,  qui arriveront pour tenter de poser leur pays au sommet de la montagne !

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *