L’évolution spectaculaire du poulet en 60 ans témoigne de notre impact sur la nature

Anonymous - © Malick MBOW
Anonymous – © Malick MBOW

SCIENCE

12/12/2018 

Des chercheurs ont remarqué que la volaille, domestiquée il y a 8000 ans, a subi des transformations radicales en quelques décennies.

Et si l'anthropocène, l'ère de l'Homme, était définie par les poulets ?

THE TELEGRAPH
Et si l’anthropocène, l’ère de l’Homme, était définie par les poulets ?

SCIENCE – Et si ce qui définissait l’être humain, c’était le poulet? Derrière cette question étrange, un constat effarant: la volaille tant appréciée partout dans le monde a énormément changé en quelques décennies, avec l’élevage intensif. Et cela pourrait permettre de mesurer un peu mieux ce que certains chercheursappellent « l’anthropocène », l’ère géologique de l’Homme.

Corps énormes, pattes difformes, croissance incroyable et multiples problèmes de santé… les hommes ont totalement modifié la morphologie des poulets d’élevage, selon une étude publiée ce mercredi 12 décembre dans la revue Royal Society Open Science.

« Le poulet d’élevage moderne est méconnaissable par rapport à ses ancêtres ou à ses congénères sauvages », explique à l’AFP Carys Bennett de l’université de Leicester en Angleterre, coauteur de l’étude mettant en avant « un squelette surdimensionné, une composition chimique des os et une génétique distinctes ».

Un géant aux pattes d’argile

Originaire d’Asie du Sud-Est, le poulet a été domestiqué il y a environ 8000 ans, mais ce n’est qu’à partir des années 1950 et la recherche de rythmes de croissance très élevés que les poulets d’élevage ont rapidement formé une nouvelle espèce morphologique, précise l’étude.

« Il n’a fallu que quelques décennies pour produire une nouvelle forme d’animal contre des millions d’années normalement », précise Jan Zalasiewicz, également de l’Université de Leicester et coauteur de l’étude.

Les chercheurs ont ainsi analysé des données de poulets domestiques depuis 2000 ans et les ont comparées au coq doré, l’espèce sauvage. Si les poulets sont devenus un peu plus gros à partir du XVIe siècle, l’évolution de ces 50 dernières années est sans commune mesure. La forme du squelette a également évolué.

Une autre étude de 2014 avait ainsi montré l’évolution incroyable entre des poulets de 1957, 1977 et 2005. En 56 jours, un poulet atteignait en moyenne 900 grammes en 1957, contre 4,2 kg aujourd’hui.

POULTRY SCIENCE
A gauche en 1957, au milieu en 1978 et à droite en 2005

Tout cela est dû à un environnement (en batterie) avec une température, un niveau d’humidité et une alimentation millimétrée, permettant une telle croissance. Et les nombreux problèmes qu’elle entraîne. Ainsi, alors qu’un coq doré sauvage a une espérance de vie de 3 à 11 ans, les poulets classiques ne survivent que 30 à 50 jours. Les poules pondeuses, un an.

Et une étude a montré que si on laisse vivre ces volailles industrielles neuf semaines au lieu de cinq, le taux de mortalité est multiplié par sept. On parle ici des poulets d’élevages industriels (et l’étude a notamment utilisé des animaux américains). Pour rappel, en France, les poulets Label rouge ou certifié biologiques vivent au minimum 81 jours.

Des milliards de poulets

Recherché pour sa chair et ses oeufs, le poulet est extrêmement consommé dans le monde. Aujourd’hui la planète en héberge 23 milliards. En 2016, 65 milliards auraient été abattus, contre 1,5 milliards de porcs. Et cela pourrait être largement sous estimé. « La masse totale des poulets domestiques est trois fois supérieure à celle de toutes les espèces d’oiseaux sauvages réunies », fait remarquer Carys Bennett, auteure principale de l’étude.

Ce nombre gigantesque de poulets et la modification profonde de l’espèce fait dire aux auteurs que c’est un bel exemple de la façon dont nous modifions les organismes vivants qui se développent sur la Terre et « un marqueur potentiel de l’Anthropocène ». Une évolution « tragique si l’on considère les conséquences pour ces oiseaux », précise Carys Bennett.

En 2016, des géologues ont appelé à en finir avec l’Holocène et à affirmer que l’être humain a bel et bien agi tellement sur la planète depuis le début de la révolution industrielle qu’il faut imaginer une nouvelle époque géologique pour le montrer. Sauf que les chercheurs sont loin d’être d’accord sur la date de début de cette période, voire même de savoir si les critères nécessaires pouvaient vraiment être tenus.

Les auteurs de l’étude estiment donc qu’au vu du nombre de carcasses de poulets, partout dans le monde et bien différentes des volailles domestiquées pendant des millénaires, les fossiles de cet animal pourraient permettre d’aider à dater l’anthropocène. D’autres marqueurs sont évidemment étudiés: les résidus de plastique, de béton, de particules carbonées ou encore des résidus radioactifs.

Mais ce ne sont pas des espèces vivantes. A l’inverse, estiment les chercheurs, le poulet pourrait « être vu comme une espèce clé, un indicateur de l’ère anthropocène proposée ».

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