« Morts par la France » : une BD pour réhabiliter les tirailleurs du massacre de Thiaroye au Sénégal

Tirailleurs-Antoine © Malick MBOW
Tirailleurs-Antoine © Malick MBOW
  •  France 24 | Le 01 mai, 2018
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« Morts par la France » : une BD pour réhabiliter les tirailleurs du massacre de Thiaroye au Sénégal

Depuis plus de vingt ans, l’historienne Armelle Mabon tente d’établir la vérité sur le massacre en 1944 de soldats africains dans le camp de Thiaroye, au Sénégal. Une BD retrace son combat pour réhabiliter ces tirailleurs tués par l’armée française.

« Camp militaire des troupes coloniales. Thiaroye, Sénégal, 1er décembre 1944 ». Des coups de feu éclatent. Des rafales de mitrailleuses déchirent l’air. Les corps tombent. La terre se gorge de sang. Dès les premières pages de « Morts par la France » (Editions les Arènes), publié le 2 mai, le massacre de Thiaroye apparaît dans toute sa brutalité. Alors que la France vit ses derniers mois de guerre, l’armée tricolore vient de commettre l’irréparable. Des militaires français ont tiré sur leurs frères d’armes, des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre tous justes rapatriés, qui réclamaient le paiement de leurs soldes. Le bilan est lourd. Trente-cinq tués, selon les autorités à l’époque.

Soixante-quatorze ans après les faits, Pat Perna et Nicolas Otero ont choisi de mettre en lumière à travers une bande dessinée cette date sombre de l’histoire de France. Un épisode longtemps occulté. « Je n’en avais jamais entendu parler comme la grande majorité des Français », explique le scénariste Pat Perna. « Alors que quand vous vous rendez au Sénégal et à Dakar en particulier, tout le monde connaît cette histoire. C’est vraiment une plaie béante et qui continue d’empoisonner nos rapports avec de nombreux pays africains ».

« Un combat noble »

C’est en consultant le livre de l’historienne Armelle Mabon « Prisonniers de guerre ‘indigènes’ Visages oubliés de la France occupée » que ce journaliste devenu auteur de BD s’est intéressé à ce crime commis par l’armée coloniale. Depuis de nombreuses années, cette chercheuse, maître de conférences à l’université Bretagne Sud, épluche les archives et dénonce la version officielle affirmant qu’il s’agissait d’une répression légitime face à une mutinerie. « Cela fait plus de vingt ans qu’elle est en guerre contre toutes les administrations et qu’elle entame des procédures. À chaque fois, elle se fait retoquer, y compris dans sa propre université. C’est une espèce de combat noble que je trouve admirable », décrit Pat Perna.

Le scénariste a ainsi choisi de placer au cœur de sa bande dessinée le long chemin de croix d’Armelle Mabon. « C’est assez cocasse de se retrouver en personnage de BD », souligne l’historienne. De page en page, le lecteur suit la quête de vérité de cette universitaire tenace. Pour Armelle Mabon, ce massacre camouflé n’avait rien d’une bavure, mais c’était un crime prémédité. Selon elle, l’armée a voulu faire un exemple, ne supportant pas les revendications des tirailleurs, et a donné l’ordre dès la veille de tirer sur eux. Une thèse que ne partagent pas certains de ses collègues universitaires et qui lui a valu des critiques. Certains lui reprochant son manque d’impartialité. « Beaucoup d’historiens parlent de Thiaroye sans avoir fouillé la moindre archive et racontent n’importe quoi parfois consciemment », leur répond-elle. « C’est un mensonge d’État qui a perduré pendant 70 ans avec moult complicités, peut-être pour sauvegarder l’honneur des officiers. En 2014, le président Hollande l’a réitéré ».

« Ces hommes seront réhabilités »

Armelle Mabon fait référence à la venue de François Hollande, il y a quatre ans, au cimetière de Thiaroye. Pour la première fois, un président français a rendu hommage à ces tirailleurs, même s’il a qualifié de nouveau ces événements de « répression sanglante », tout en évoquant un bilan réévalué d’ »au moins 70 morts ». Pour l’historienne, le compte n’y est toujours pas. Il y aurait jusqu’à 300 victimes. Pour le prouver, elle a saisi la justice pour avoir accès à toutes les archives concernant Thiaroye. François Hollande en a remis solennellement « l’intégralité » aux autorités sénégalaises mais il en manque, estime l’historienne.

Elle espère retrouver  la liste complète des morts et la cartographie des fosses communes autour du camp de Thiaroye où les soldats africains auraient été enterrés. Aux côtés de descendants de tirailleurs tués ou condamnés par la justice militaire après le massacre pour leur rôle de meneurs dans cette « mutinerie », Armelle Mabon se démène également pour que leur honneur leur soit rendu et qu’un procès en révision ait lieu. « Ma quête de la vérité a dérangé, mais ces hommes seront réhabilités. Il faut juste du courage politique pour le dire », insiste-t-elle.

En publiant cette bande dessinée, Pat Perna espère l’aider dans son combat et enfin faire bouger les choses : « La BD  permet de toucher un autre public et de faire que d’un seul coup le grand public s’intéresse à cette question. Ce n’est pas une manière de renier ce qu’a fait la France, ni de dire qu’elle s’est toujours mal comportée. Il s’agit juste de reconnaître que nous avons commis une erreur et qu’il faut la réparer ». Devenu lui aussi un militant de cette cause, le scénariste se sent avant tout redevable envers les proches des victimes qu’il a rencontrés au cours de son enquête. « Je pense surtout à Biram Senghor, le fils de l’un des tirailleurs. Depuis toujours, il n’attend qu’une chose : récupérer le corps de son père et pouvoir l’enterrer dignement « , raconte Pat Perna. « Ce serait merveilleux de pouvoir lui dire : ‘voilà c’est réglé' ».

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Auteur: France24.fr

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