Jean-Luc Mélenchon : «C’est une guerre de mouvement, si Macron bouge, on bouge»

Par Rachid Laïreche — 

«Libération» a longuement rencontré le leader de La France insoumise, mardi à l’Assemblée. Il dénonce la «ligne rouge» franchie par Macron lors de son discours devant la Conférence des évêques de France. Jugeant le moment décisif, il fait le lien avec le front social.

Chose rare : Jean-Luc Mélenchon invite une petite poignée de gratte-papier dans son bureau, à l’Assemblée nationale. Chose encore plus rare : Libé a le droit à une place autour de la table. Le président des insoumis du Palais-Bourbon reçoit afin de livrer son regard, son sentiment face au mouvement social et au discours d’Emmanuel Macron, la veille au soir, au collège des Bernardins, devant la conférence des évêques de France, qui a fait jaser. Il fait le lien entre les deux : tous les désaccords mènent sur le champ de bataille : «C’est une guerre de mouvement, il bouge, on bouge.» Le tribun trouve le moment «fascinant, motivant». Selon lui, la semaine s’annonce décisive : Macron, qui sera à la télé jeudi et dimanche, cherche à «marquer le point» et renvoyer la contestation au silence.

«Et les juifs ? Les musulmans ?»

Mardi, 17 h 10 : Jean-Luc Mélenchon déboule dans son bureau. Il s’installe en bout de table. Pas de temps pour les amabilités, il entre dans le vif. «Le moment est violent : entre les expulsions des étudiants dans les facs et les 2 500 gendarmes qui sont en train de déloger une cinquantaine de mecs dans un bois à Notre-Dame-des-Landes.» Il poursuit : «Et hier, vous avez écouté le discours de Macron ? C’est d’une violence symbolique !» Le député demande à «Juliette», son attachée de presse, de lui passer le discours du chef de l’Etat qu’il a imprimé. Il le regarde sans vraiment le lire. Il l’a déjà décortiqué. Il accuse : «Macron a franchi la ligne rouge, même Sarkozy n’allait pas aussi loin, son discours est plus nuisible qu’autre chose.»

On comprend très vite une chose : Jean-Luc Mélenchon, fervent supporter de la loi de 1905, a été atteint par les mots du chef de l’Etat. Il se lance dans une série d’interrogations : «Le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé ? Non, il a été rompu en 1905 ! Et il appelle les catholiques à s’engager politiquement ? Et les juifs ? Les musulmans ? Pourtant moi je pensais qu’on devait combattre l’islam politique. Donc on va dire aux catholiques faites de la politique et pas aux autres ?» Pour le chef des insoumis, le débat est simple, l’Etat n’a pas à «dialoguer» avec les religions. «On peut croire en ce qu’on veut tant que ça reste dans la sphère du privé et qu’on ne vient pas embêter les autres», aime à répéter l’ancien candidat à la présidentielle.

«Décisifs dans la lutte»

Le temps passe. Il boit lentement son café dans un mug aux couleurs de la France. Le regard posé sur le discours, Jean-Luc Mélenchon n’arrive toujours pas à y croire. Les mots de Macron ne passent pas. «Il a franchi une ligne rouge, ce pays ne lui appartient pas et le président de la République ne fait pas de discours dans un couvent», lâche-t-il. Le député revient sur la cérémonie à la Madeleine après la mort de Johnny Hallyday et le discours d’Emmanuel Macron sur les marches de l’église : «Ce jour-là, il savait qu’il ne pouvait pas prendre la parole à l’intérieur, il le savait très bien». Le chef des députés insoumis est persuadé que Macron cherche à «élargir sa base idéologique»«devenir le chef de la droite» car «il doit se dire que la droite a le vent en poupe un peu partout en Europe».

Dans son bureau, face à nous, il laisse très peu de place aux blancs. Il ne s’arrête jamais sur une idée. Le député s’interroge beaucoup. Il cherche toutes les raisons : «Macron est un homme intelligent, cultivé, pourquoi fait-il ça ? Peut-être qu’il souhaite élargir le concordat sur l’ensemble du territoire.» Peu importe ses motivations, Mélenchon sera sur sa route, le sujet lui tient trop à cœur pour le laisser filer. Un journaliste lui rappelle qu’il n’est pas seul à se frotter les yeux depuis le discours. Que les réactions ont été vives. De Benoît Hamon à Olivier Faure en passant par Manuel Valls. Jean-Luc Mélenchon répond du tac au tac : «Tout le monde est le bienvenu si l’on tape sur le bon clou.» Puis, il répète que les jours qui arrivent s’annoncent «décisifs dans la lutte».

«Coup d’Etat» contre Lula

Tranquille, prolixe, le tribun fait le lien avec le reste de l’actualité. Les facs, la jeunesse, la grève des cheminots : il aime ce moment, «ça bouge»et il espère mettre «Macron au tapis». Flashback. Il revient sur l’échec de septembre, les divisions, les polémiques. Puis, sur la force de son mouvement, pas assez puissant pour mener la baston tout seul et trop fort pour ne rien faire : «Insoumis, c’est un état d’esprit, La France insoumise ne doit pas être le déclencheur, nous devons accompagner les actions syndicales, citoyennes comme la marche que propose François Ruffin le 5 mai.» Jean-Luc Mélenchon est persuadé que rassembler les sigles de la gauche «c’est mort», qu’il faut discuter avec les forces sociales. D’ailleurs, c’est sa mission prioritaire : la «jonction entre les syndicats et les politiques», un «travail de dentelle».

Après un peu plus d’une heure de discussion, Jean-Luc Mélenchon se lève, son attachée de presse lui rappelle qu’il doit se rendre dans l’hémicycle pour suivre les débats, il se lance dans un autre sujet : l’Amérique du Sud. Le «coup d’Etat» contre Lula au Brésil, il n’oublie pas le Mexique et le vétéran de gauche Andrés Manuel López Obrador, favori de la présidentielle qui aura lieu cet été. Peut-être qu’il se rendra sur place, dans ce «pays qu’il aime», si «Obrador lui demande». En quittant son bureau, il tombe sur deux députés insoumis, Danielle Obono et Adrien Quatennens qui tirent sur leur clope. Il s’arrête avec un «Ah, mais qu’est-ce que vous faites là ?», puis il reprend son rythme, marchant à grands pas vers l’hémicycle «pour filer un coup de main aux copains».

Rachid Laïreche

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *