Vincent Bolloré traîne «Complément d’enquête» et France 2 en correctionnelle

 

  • Vincent BOLLORE - © Malick MBOW
    Vincent BOLLORE – © Malick MBOW

    Le 04 avril, 2018

  • S’estimant victime de diffamation, le milliardaire breton demande 450 000 euros de préjudices, suite à la diffusion d’un reportage le concernant sur France 2, en avril 2017.

« L’avocat de Bolloré va tenter de te déstabiliser. Mais ne lui réponds pas directement, ne le regarde même pas. Et c’est lui qui sera déstabilisé. » À l’entrée du tribunal correctionnel de Nanterre, Élise Lucet dispense ses ultimes conseils au journaliste Tristan Waleckx, 35 ans, accusé par Vincent Bolloré de diffamation. Au cœur de l’affaire : un numéro de « Complément d’enquête » consacré au milliardaire breton, diffusé le 7 avril 2017 sur France 2.

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La présentatrice vedette d’Envoyé spécial, pour qui travaille également le prévenu, connaît bien les lieux : il y a quelques mois, elle a été elle-même accusée de diffamation pour avoir présenté l’Azerbaïdjan comme une dictature dans un « Cash Investigation ». Avant que de la demande ne soit jugée irrecevable.

Cette fois-ci, Élise Lucet ne fait pas partie des accusés : elle vient soutenir son reporter, appelé à la barre. Tout comme son père, cadre dans l’Éducation nationale, ainsi qu’une dizaine de journalistes d’investigation de France 2 et une partie du service juridique de la chaîne.

Également mise en cause, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte est, elle, représentée par Mes Jean Castelain et Juliette Félix, les avocats du service public. Les faits reprochés : « Avoir porté atteinte à l’honneur ou la considération de Vincent Bolloré, de Bolloré SA et de Bolloré Africa Logistics. »

450 000 euros démandés par Bolloré

Cette accusation, pour laquelle l’homme d’affaire demande 450 000 euros de réparation, est détaillée en neuf points par Me Olivier Baratelli, son avocat. Cela concerne surtout la partie « Afrique » de l’enquête : les conditions de travail et de vie des ouvriers de Socapalm, principale plantation d’huile de palme au Cameroun dont Vincent Bolloré est actionnaire, et les conditions d’acquisition des droits d’exploitation du port de Kribi, au sud-ouest du pays. Une semaine plus tôt, pour ce même reportage, Vincent Bolloré attaquait déjà France 2 pour dénigrement devant le tribunal de commerce de Paris, et demandait 50 millions d’euros de préjudice.
« Quelles sont vos méthodes ? Comment avez-vous abordé le sujet ? », demande la présidente de la 14e chambre à Tristan Waleckx. « Comme pour Xavier Niel, Bernard Arnault ou la dynastie Dassault, il ne s’agissait pas de faire un portrait de Vincent Bolloré dithyrambique, ni à charge, répond le grand reporter, qui a reçu le prix Albert Londres pour le reportage incriminé. Notre objectif, c’était de comprendre la complexité du personnage. Montrer que ce n’est ni un dieu, ni un diable. On pourrait penser que j’ai une animosité personnelle contre Vincent Bolloré, mais pas du tout. Je pense même qu’il a un formidable flair, et qu’il a fait des coups de maître. »

Parmi les points sensibles du dossier, l’attribution du port de Kribi et le rôle que de François Hollande, alors président de la République, a joué dans ce dossier. Le clan Bolloré dénonce alors une insinuation de trafic d’influence de la part de France 2. Un argument qui sera par la suite retenu par le procureur, qui s’interroge sur la prudence des propos et le sérieux de l’enquête. « On dit qu’il y a eu un jeu d’influence, pas un trafic d’influence », nuance Tristan Waleckx, qui lui, parle des « fake news » fabriquées par la partie adverse. « Absurde, alors que les deux autres sociétés en lice n’y ont rien trouvé à redire, insiste Me Olivier Baratelli. Il n’y a même pas une plainte. »

La capitale question de l’âge de deux ouvriers

Mais la question qui cristallise les débats, c’est l’âge de deux ouvriers de la Socapalm affirmant dans « Complément enquête » avoir 16 et 14 ans. « Faux, ce dernier avait 18 ans à l’époque, nous assure Michel Mioulowe, président du conseil d’administration de la Société camerounaise de palmeraies, pendant une suspension de séance. Nous avons son acte de naissance. L’unique but de ce reportage, c’est de montrer que Vincent Bolloré est un monstre. » Cependant, quand nous demandons à ce responsable de nous montrer la preuve avancée, il se ravise…
Pourtant, le document en question sera également évoqué en séance, sans être montré. « On a rencontré une quinzaine de mineurs travaillant sur cette plantation, précise Tristan Waleckx, à la barre. Mais c’est vrai que là-bas, ça ne choque pas. D’ailleurs, les sous-traitants de la Socapalm ne leur demandent pas de pièce d’identité avant de les embaucher. »
Intervention de la présidente du tribunal : « Mais le travail des mineurs au Cameroun, c’est interdit ou pas ? » Pour Tristan Waleckx, c’est « oui, oui ». Pour l’avocat de Vincent Bolloré, c’est « non, non ». « L’âge légal est de 14 ans, selon le Code du travail. » Et il ajoute : « La Socapalm refuse même que les ouvriers aient moins de 19 ans. » Une déclaration contredite par Emmanuel Elong, planteur et membre d’une association de riverains. « Dans ces plantations, il y a de nombreux ouvriers mineurs, explique ce témoin-clé, qui a obtenu son visa au dernier moment afin de venir s’expliquer. Pourtant, c’est bien interdit de travailler avant 18 ans. Le documentaire montre la réalité. »

«Je dénonce une insulte aux 59 000 salariés du groupe Bolloré»

Conclusion de l’avocat de Vincent Bolloré : « On va dire que ma procédure s’ajoute aux procédures bâillon pour faire taire les journalistes. Mais lorsque je choisis de m’attaquer à tel ou tel journaliste, c’est parce que les bornes ont été dépassées. Je n’ai jamais vu un tel travail. » « C’est inacceptable, poursuit-il. Vous avez eu une vision colonialiste de l’empire Bolloré. » « Je dénonce une insulte aux 59 000 salariés du groupe Bolloré », lance l’avocat, avant d’enfoncer le clou : Tristan Waleckx, c’est pire que du « Cash investigation ».
Cté défense, on s’attendait « à des vraies preuves pas des selfies de Me Baratelli », et on pointe « une volonté de faire peur ». Un second procès en diffamation doit d’ailleurs s’ouvrir à Douala, au Cameroun, contre Nicolas Poincaré, Delphine Ernotte et Tristan Waleckx. « Vous m’apporterez des oranges ?, lance le dernier au représentant de la Socapalm. Là-bas, je suis passible de 6 mois ferme de prison, non ? » Réponse, du tac-au-tac : « Rassurez-vous, on ne met pas les journalistes en prison. » Pas sûr que le reporter de « Complément d’enquête » aille vérifier cette information. Pour ce premier procès, le verdict a été mis en délibéré au 5 juin.

 

Auteur: leparisien.fr

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