Laser du lundi : Khalifa Sall est broyé par les enjeux de 2019, par l’arme judiciaire et par le cynisme politique (Par Babacar Justin Ndiaye)

Ce n’est pas un hasard, si le Président Léopold Sédar Senghor s’est assis dans le fauteuil du Duc de Mirepoix, à l’Académie française, après avoir gouverné le Sénégal et les Sénégalais, c’est-à-dire cette ex-colonie d’Afrique et ses habitants (les Sénégalais) qui ont été colonisés, jusqu’à la moelle épinière. Très visiblement, l’amour des mots et la magie du verbe sont la sève nourrissante et débordante d’une vie politique qui chérit le duel sémantique, comme l’attestent deux épisodes mémorables de notre marche sur le chemin de la démocratie. Premièrement, le grammairien Senghor disait (avant la naissance du PDS en 1974) que l’UPS (la génitrice du PS) était un « Parti unifié » et non un Parti unique. Pourtant, l’UPS était le seul Parti présent sur l’échiquier politique. Les autres étaient illégaux et clandestins. Deuxièmement, il (toujours Senghor) opposa un décret à l’orthographe du mot « Siggi » que Cheikh Anta Diop avait choisi comme nom, pour le journal de son Parti : le RND.

Débats, démangeaisons, et délires sémantiques…Manifestement, le procès du Maire Khalifa Sall a bien pris le relais de nos vieilles mœurs politico-linguistiques. Devant le Tribunal correctionnel de Dakar, les querelles sémantiques, les discussions juridiques et les controverses comptables ont inauguré de facto un colloque académique et savantissime sur le thème que voici : « Quel adjectif qualificatif accoler aux caisses et autres fonds mis à la disposition des hommes d’Etat ou des hommes politiques qui, dans un système correctement démocratique, sont périodiquement interchangeables ? ». Si la respectable magistrature n’était pas impliquée, si les fondations de l’Etat (utile et précieux pour tous) n’étaient pas menacées d’ébranlement, si la privation de liberté (la liberté est sacrée pour toute personne) n’était pas à l’ordre du jour, on rirait du mélodrame qui tient, tristement en haleine, tout un pays dont l’image prend inévitablement un coup dur.

Indéniablement, il y a dans le dossier du Maire, Khalifa Sall, des pratiques, des contradictions et des aveux punissables, soit par la Morale (admirez le grand « M ») soit par la Loi. En effet, l’orthodoxie de la bonne gouvernance et, surtout, celle de la comptabilité publique commandent globalement une gestion protectrice des deniers publics (Etat et Collectivités locales confondues). Mais, il est, tout aussi indéniable que dans une République, l’Etat et les Collectivités dirigés par des hommes et des femmes, légitimés par les suffrages de citoyens, ne fonctionnent pas dans tous leurs compartiments, avec la transparence digne d’une cantine scolaire. Voilà une évidence que tous ceux qui ont gouverné ou aspirent à gouverner, savent. D’où l’existence, jusque-là, d’un modus vivendi stabilisateur et salvateur pour tout le pays. D’où, également, la nécessité de trouver des limites raisonnables à l’adversité politique qui – ici comme ailleurs – n’est jamais tendre. Le cynisme politique bien théorisé par Machiavel est, parfois, une arme à double tranchant qui fait mouche et, en même temps, engendre un retour de manivelle.

C’est ouvrir une digue que de commencer un procès politique, comme celui du Maire de Dakar. Les témoignages de Moussa Sy et de Mamadou Diop ont déshabillé publiquement l’Etat, avant de lui inoculer un sérum de vulnérabilité. Au demeurant, je reste convaincu que Mamadou Diop (ex-Colonel de gendarmerie, inamovible ministre, proche collaborateur du Président Senghor et interlocuteur du Gouverneur Abdou Diouf à Kaolack puis du Président Abdou Diouf à Dakar, n’a pas dit le tiers de ce qu’il sait des mœurs politiques, sécuritaires et secrètes d’un Etat soucieux de sa viabilité. D’ores et déjà, les débats sonores, accusateurs et contre-accusateurs portant sur les fonds politiques, secrets, communs, spéciaux etc. –  bien logés dans des rubriques aux appellations ingénieuses – ont fâcheusement forgé, chez les Sénégalais, le sentiment civiquement démoralisant que toutes les ambitions, tous les engagements et tous les combats politiques pivotent autour des caisses et des décaissements. Bref, la jurisprudence d’un Khalifa Sall condamné enterrera la crédibilité des acteurs politiques qui, aux yeux des citoyens, seront logés à l’enseigne des alligators tantôt en complicité, tantôt en conflit.

Justement, le procès en cours plonge ses racines dans un conflit éminemment politique. Les relations de confiance liant Ousmane Tanor Dieng à Khalifa Sall, étaient-elles en consolidation ou en usure, peu avant le référendum de 2016 ? Barthélémy Dias parle de dégradation. Bien entendu, les paroles de Barthélemy Dias n’ont pas valeur de paroles d’Evangile. En revanche, les observateurs ont bien vu que le référendum a fonctionné comme un révélateur – pour employer le vocabulaire de la photographie – des divergences de postures à adopter, en amont et en aval, de l’échéance 2019. A cet égard, il est frappant de noter que les analyses et les arguments tiennent la route, des deux côtés.

Pour Khalifa Sall et ses amis, la coalition n’est pas synonyme d’annexion. Benno Bokk Yakaar est un cadre et non un carcan. Selon eux, contribuer à la victoire de Macky Sall, en 2019, c’est fossiliser le PS. Point de vue défendable, même si les vérités politiques ne sont jamais carrées. En face, Tanor, Wilane – et Abdou Diouf en arrière-plan – se projettent dans une perspective plus élevée et plus pointue : l’après-Macky Sall s’avère plus favorable pour la reconquête du pouvoir par le PS que la présidentielle de 2019. Cette option est d’autant plus digne d’intérêt qu’elle ressemble à l’iceberg, cachant de probables arrangements validés par un Macky Sall soucieux de quitter le pouvoir, dans la quiétude. Une assurance qui ne se dessine ni du côté d’Idrissa Seck ni du côté du PDS de Karim ou d’un autre. Les garanties du Président Diouf sont aux yeux du chef de l’APR, plus fiables que celles très hypothétiques du versatile Wade.

En examinant de plus près l’impassibilité de Tanor Dieng vis-à-vis du sort de Khalifa Sall ; en pénétrant les rares propos qu’il tient devant les instances et les structures du PS, on mesure parfaitement la taille et l’importance des enjeux politiques qui ont précipité le procès de Khalifa Sall. Lorsque le Secrétaire général du PS déclare, en substance, devant un auditoire de femmes socialistes que « si on ne freinait pas et n’excluait pas Khalifa Sall, le Parti serait détruit », il exprime probablement une parcelle de vérité. L’autre volet de la vérité est d’autant plus alarmant pour les stratèges du PS, qu’il rencontre l’assentiment des analystes neutres. En effet, le Président du Haut Conseil des CollectivitésTerritoriales était et reste convaincu – les observateurs indépendants avec lui – que la candidature de Khalifa déstabiliserait électoralement le Président Macky et la coalition BBY, sans porter le Maire de Dakar à la tête du pays. Pire, elle ferait le lit d’un come back rapide et revanchard du PDS ou d’un outsider. Autrement dit, le candidat Khalifa Sall – incapable de fédérer l’opposition, incapable de battre, dans un premier galop d’essai, un Président sortant nanti d’un bilan – abrégerait bêtement la vie du régime de Macky Sall, au profit d’autres. Inacceptable pour Ousmane Tanor Dieng et, aussi, pour Moustapha Niasse qui ont traversé le désert,pendant respectivement 12 ans et 11 ans, avant de camper à l’oasis, en 2012, sous la bannière de Benno Bokk Yakaar.

Voilà les enjeux qui expliquent la férocité de la bataille Tanor-Khalifa et, dans la foulée, provoquent cette fureur judiciaire et ce cynisme politique, deux choses susceptibles d’esquinter l’Etat. Car, pour atteindre Khalifa Sall, on a frappé dans les entrailles opaques mais névralgiques de l’Etat : la gamme des fonds ou des dépenses…disons : extraordinaires. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? C’est une question d’appréciation au niveau des belligérants qui sont censés être imbus de culture et de culte étatiques. Rappelons à ceux qui se posent en champions de l’application des Lois et en défenseurs de l’Etat de droit, que : l’Etat de droit est d’abord unEtat debout. Un Etat rendu flageolant par des divulgations et des révélations, n’est que l’ombre de lui-même. Justement, qu’attend la Loi pour frapper celle qui a dissipé les fonds non politiques et non secrets du FESMAN ? Le Maréchal Pétain est allé en prison à un âge avancé : vieillard, grabataire et quasi-sénile… Plus de 80 ans. A ma connaissance, Sindjély Wade qui n’a pas encore fêté son cinquantième anniversaire, se porte bien et voyage, en toute liberté, entre l’Europe et le Qatar. Les magistrats sont à cheval sur le Tribunal correctionnel de Dakar et les Tribunaux de leurs consciences respectives, en attendant le Tribunal de l’Histoire ou l’Arbitrage de la Postérité.

PS : Le poids lourd – parmi les témoins – est évidemment Mamadou Diop. Son itinéraire, son expérience, son âge et sa stature d’homme ayant blanchi sous le harnais de l’Etat, imposent l’écoute, le respect et la fiabilité. Au début des années 60, le lieutenant Mamadou Diop commandait la Compagnie de gendarmerie du Sine-Saloum et du Sénégal Oriental. Deux régions de gendarmerie, à l’époque, fusionnées. Colonel, député, ministre, maire, juriste et avocat… Mamadou Diop a très tôt et très longtemps évolué au cœur de l’Etat et de ses secrets. Donc, il sait, par-delà les terminologies de caisses et de fonds, faire la différence entre les multiples rubriques. Mamadou Diop n’a pas besoin de réveiller Maurice Druon et Léopold S Senghor pour démêler l’écheveau sémantique et comptable des fonds et des caisses de toutes sortes. Au chapitre des faits secrets, signalons qu’au paroxysme de la crise de mai 68, Senghor avait court-circuité le Général Jean-Alfred Diallo, en désignant secrètement le duo Mamadou Diop-Commandant Soya Cissokho, comme chevilles ouvrières et sécuritaires de la survie de son régime. Les deux hommes ont travaillé jour et nuit, au Building administratif. La soudaine crise de confiance était née de la question posée par le Général Diallo au Président Senghor : « Monsieur le Président où est votre UPS qui s’évapore, au lieu de venir vous servir de bouclier ? ». Il y a des hommes qui ont fait – sans pavoiser – le nécessaire pour que notre Etat puisse être, aujourd’hui, démocratiquement dans les mains de Macky Sall. Parmi ceux-ci, figure Mamadou Diop.

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