Laser du lundi : L’adhésion du Maroc désintègrera l’intégration avancée de la CEDEAO (Par Babacar Justin Ndiaye)

 

Babacar Justin NDIAYE - © Malick MBOW
Babacar Justin NDIAYE – © Malick MBOW

« Ecrire l’Histoire, c’est foutre la pagaille dans la géographie ». Cette citation amusante et savante de Daniel Pennac, éclaire le cap de la chienlit et du délitement vers lequel l’adhésion du Royaume chérifien propulsera la CEDEAO, la communauté ouest-africaine en voie d’intégration très avancée. En effet, le Maroc qui est entrain d’écrire son Histoire immédiate, veut surfer sur une hérésie géographique et  se mouvoir sur un tremplin géopolitique, dans le but de conforter ses intérêts vitaux de tous ordres. Conséquence : le critère géographique, notamment spatial, ayant présidé au surgissement de ce cadre d’intégration et à la détermination de son sigle – à savoir l’étendue et les limites de l’Afrique de l’Ouest – est, d’emblée, piétiné par la demande d’adhésion déposée par le gouvernement de Rabat.

Avant de pulvériser ou de plaider la cause du Maroc, rendons, d’abord, ses droits à la géographie qui – au gré des agendas politiques et des calculs stratégiques – est tantôt physique, tantôt plastique, parfois élastique et, souvent, en caoutchouc. Le summum de la pagaille est illustré par la non-acceptation du Sénégal dans le G5 Sahel et, a contrario, la bénédiction rampante de la candidature du Maroc, par les instances de la CEDEAO qui, elle-même, compte trois Etats membres de la nouvelle organisation militaire du Sahel : le Burkina, le Mali et le Niger. C’est l’âge d’or du charlatanisme géographique qui – sous des dehors de volontarisme politique, économique et diplomatique – pollue et, in fine plombe l’intégration recherchée et salvatrice. Certes, l’intégration économique sera toujours à la remorque des choix et/ou des volontés politiques. Mais via quel filtre géographique accueillera -t-on éventuellement le Royaume chérifien et sur quel terrain miné ou dépollué installera t-on la CEDEAO lestée d’un Maroc confronté à un faisceau de servitudes géopolitiques ? Une pincée de questions ardues qui génèrent un clivage entre des chefs d’Etat qui souhaitent la bienvenue au candidat et d’autres qui se montrent moins accueillants. Les discussions d’Abuja qui ont débouché sur le report (janvier 2018) en sont illustratives.

Au demeurant, le débat est bien biaisé et mal étagé. Avant de faire l’inventaire des avantages et des inconvénients de l’irruption du mammouth marocain dans l’espace des micro-marchés d’Afrique de l’Ouest, il fallait, au préalable, clôturer le débat de base qui crédibilise ou décrédibilise toute candidature. En d’autres termes et en français facile : où est le Maroc ? Le Maroc est dans le Maghreb, en bordure de la Méditerranée (à 15 kilomètres de l’Europe par le détroit de Gibraltar), avec une large façade sur l’Atlantique. Ce n’est pas tout. Le Maroc n’a aucun contact physique, aucune frontière avec un pays membre de la CEDEAO. Le Royaume est séparé du Sénégal et du Mali, par la Mauritanie (pays ayant quitté la CEDEAO) et par le territoire du Sahara Occidental dont le destin – encore en équation diplomatique, militaire et juridique – n’est toujours pas scellé au regard du Droit international et au niveau des Nations-Unies. Sous cet éclairage-là, envisager l’adhésion puis offrir un siège au Maroc, c’est se faire le complice, le sous-marin et le cheval de Troie d’une obscure opération de noyautage de la CEDEAO. Une infiltration marocaine qui draine autant de visées géopolitiques que d’objectifs économiques.

Les économistes, les banquiers et les industriels ont recensé les aspects funestes et les facettes favorables d’une adhésion du Maroc. Pour être complet, il est donc temps de cerner les incidences géopolitiques et/ou géostratégiques d’une irruption chérifienne dans l’espace CEDEAO. A cet effet, un regard appuyé sur la mappemonde, renseigne fort bien sur les ressorts de ce besoin vital d’expansion marocaine vers l’Afrique au sud du Sahara. Visiblement, le Maroc est encagé. L’Est du Royaume est durablement verrouillé par la rivalité atavique avec l’Algérie. Au Nord, les enclaves sous souveraineté espagnole de Ceuta et Melilla, ne lui laissent qu’une lucarne sur la Méditerranée et en direction de cette Europe qui a repoussé sa demande d’adhésion à l’UE, antérieure à sa demande d’adhésion à la CEDEAO. Au Sud, la RASD reconnue par l’Union Africaine (camouflet diplomatique) et la Mauritanie (très ombrageuse sur les questions de souveraineté) dressent des parois et parachèvent l’étouffement. Du coup, l’antidote bienvenu et retenu par les conseillers du Roi, est d’enjamber la Mauritanie puis de se déployer en Afrique de l’Ouest, en faisant du Sénégal, la porte d’entrée et, surtout, le poisson-pilote de ces grandes manœuvres. Ainsi ont carburé les stratèges du Palais royal dont le dernier Mohican de l’ère Hassan II, est le très intelligent André Azoulaye, père de la nouvelle directrice générale de l’UNESCO.

Avec un statut de membre à part entière de la CEDEAO, le Maroc se donnera de lointains leviers et parachutera son influence dans une zone où il prendra à revers l’Algérie. Y compris jusque dans le Sahel ; puisque la CEDEAO compte deux Etats frontaliers de l’Algérie : le Mali et le Niger. Tenez ! Si le Maroc avait intégré la CEDEAO, en 2011, les Forces Armées Royales (FAR) auraient dépêché des bataillons au sein de la Mission de la CEDEAO au Mali (la MICEMA) qui est la devancière de la MINUSMA. On aurait été dans un cas de figure stratégique où des militaires marocains campent au Nord-Mali qui correspond au flanc-Sud de l’Algérie. Un décor de tensions et d’étincelles :  l’armée marocaine face à Tindouf et un contingent chérifien (sous la bannière de la CEDEAO) face à Tamanrasset. Bonjour le casus belli automatique ! L’Algérie aurait instantanément riposté en déstabilisant totalement le Mali, terre d’accueil d’une Force de la CEDEAO ayant une composante marocaine, sur sa frontière méridionale. Dieu sait que l’Algérie a des capacités de nuisances considérables au Sahel. Il s’y ajoute que l’arrivée du Maroc polluera le climat diplomatique, jusque-là vivable et gérable à l’échelle des 15 Etats. En effet, il existe, à propos du Polisario, une ligne de partage entre des pays pro-marocains (cas du Sénégal) et d’autres qui ont une politique étrangère assez bienveillante envers la RASD ; tels le Nigeria et la Guinée-Bissau.

Par ailleurs, les observateurs sont enclins à stigmatiser une démarche manifestement opportuniste (froidement calculée) du Maroc. Lorsque la CEDEAO voyait le jour, au milieu des années 70, le Maroc, membre de la Ligue Arabe, – après avoir dépêché un bataillon sur les hauteurs du Golan, en Syrie, durant la guerre du Kippour – s’est lancé dans une partie de poker avec l’Espagne et la Mauritanie de Moctar Ould Daddah, en vue d’arracher le Sahara Occidental, des griffes d’un Général Franco agonisant à Madrid. En 1980, date de l’adoption du Plan de Lagos (pierre angulaire de la politique communautaire), le Maroc avait la tête, ailleurs. En 1989, Rabat ignore royalement la CEDEAO, pourtant vieille de quatorze ans, et adhère à l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Déboires et échecs au Maghreb. A partir de 1990, le Royaume chérifien a multiplié les efforts, afin d’intégrer l’Union Européenne ou – à défaut – de nouer des relations privilégiées via des accords jamais signés avec un Etat non européen. Nouvel échec. Preuve que le destin de la CEDEAO a longtemps été le cadet des soucis des dirigeants marocains. Par conséquent, ce soudain regain d’intérêt pour l’Afrique de l’Ouest décuple les réflexions des analystes et aiguisent les lasers des chroniqueurs.

Un cadre d’intégration n’est pas un moulin. Les portes d’entrée de l’UE, de la CEDEAO, de l’ALENA et du Pacte Andin (pays sud-américains de la cordillère des Andes) ne sont ne sont pas sans clé ni verrou. Quelques leçons d’Histoire récente sont encore fraiches dans les mémoires. Durant de longues années, le Général De Gaulle s’est opposé à l’entrée de la Grande Bretagne dans le marché commun. Pourtant, c’est la largeur de la manche qui sépare l’Angleterre des côtes françaises. Pour le Président français d’alors, l’Angleterre est la perfide Albion, plus orientée vers l’océan que vers le vieux continent. Donc plus attachée à l’Amérique qu’à l’Europe. Aujourd’hui, le BREXIT donne amplement raison à un De Gaulle visionnaire. Dans cet ordre d’idées, le blocage de la Turquie aux portes de l’UE – pourtant accueillante pour les ex-pays communistes de l’Est, comme la Pologne et la Hongrie etc. – prouve que les critères d’adhésion dans un cadre d’intégration sont pluriels : économique, identitaire et civilisationnel. La Turquie n’étant pas de civilisation judéo-chrétienne, on l’accepte uniquement dans l’OTAN (organisation militaire anti-soviétique et, aujourd’hui, anti-russe), à cause de sa puissante armée et de sa posture de jointure entre l’Asie et l’Europe.

« Le prochain Etat membre de la CEDEAO, après l’adhésion du Maroc, en janvier 2018, ce sera la Nouvelle-Zélande ». Voilà une boutade dont il ne faut pas rire. Après tout, la boutade est le prolongement des pensées sérieuses par la plaisanterie. Le fait que le Maroc – suffisamment maghrébin et indiscutablement méditerranéen – veuille devenir un pays tropical et, plus tard, équatorial ou austral, n’est-ce pas, en soi, ahurissant ? C’est justement, pour stabiliser définitivement les lignes géographiques englobant des aires économiques très viables que le Président Senghor, préconisait, dans une interview accordée à Philippe Decraène du journal « Le Monde », une restructuration plus équilibrée de la CEDEAO écrasée par l’immense marché nigérian. Senghor suggéra la création d’une « Communauté Economique des Etats de l’Afrique Atlantique » (CEEAA) qui irait de Nouakchott à Matadi (Bas-Zaïre ou Bas-Congo). Ainsi la riche et grande RDC contrebalancerait le géant nigérian. Idée infiniment plus pertinente, au plan économique, que l’adhésion du Maroc. Et moins périlleuse, au chapitre géopolitique.

 

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