Sir Paul Collier : « Les erreurs que le Sénégal ne doit pas commettre »

 

  • Macky SALL - © Malick MBOW
    Macky SALL – © Malick MBOW

    Le 17 octobre, 2017

Professeur d’Economie et de politiques publiques à la faculté de Blavatnik et professeur Emérite au Collège de Saint Antony à l’université d’Oxford, Sir Paul Collier fait partie de ces universitaires dont la parole est très écoutée. Auteur de nombreux travaux de recherche, notamment sur les sociétés riches en ressources naturelles, il a animé ce lundi, à Dakar, la conférence initiée par Bp, axées sur le thème « La Gouvernance des ressources pétro gazières : leçons du passé ». Conférence durant laquelle, il a montré les voies que notre pays ne devra absolument pas suivre dans l’élaboration de sa politique pétrolière.

Trois ingrédients incontournables
« Ce n’est pas la ressource naturelle qui définit l’avenir, c’est vous qui définissez l’avenir de votre nation. Les choix que vous faite, les choix que votre gouvernement fait vont déterminer votre réussite comme le Botswana ou votre échec comme la Sierra Leone.  Quels sont les fondements d’une bonne politique gouvernementale ? Il y a les règles, les institutions et les citoyens informés. Voilà le triptyque. Pour les règles, je vais vous donner des exemples. Lorsque le Ghana a découvert du pétrole, il était déterminé à ne pas commettre les erreurs du Nigéria. Et l’une de ces erreurs commisses par le Nigéria c’était de dire que nous pouvons épargner de l’argent. Donc le gouvernement ghanéen a adopté une loi disant que 30 % des revenus pétroliers devraient être épargnés. C’était une règle pleine de bon sens, mais cela ne s’était pas fait malheureusement. Parce que les deux autres éléments du triptyque manquaient.

Attention aux escrocs
« Vous avez besoin de citoyens pour défendre les règles et les équipes. Parce qu’avec les ressources naturelles, il y a toujours l’odeur de l’argent. Et l’odeur de l’argent attire les escrocs. Et dans plusieurs pays, les escrocs, appâtés par l’odeur de l’argent, sont arrivés comme des cafards et ont complètement phagocyté les institutions et enfreint les règles. Donc vous avez besoin de citoyens pour servir de forces de défense des règles et des institutions et on ne peut le faire que si on comprend les règles. Et la compréhension citoyenne est quelque chose qu’on doit renforcer et mettre en place avec attention. Au niveau des autorités les plus élevés on doit considérer cela comme une mission, un sacerdoce, la mise en place de toute la sphère de décision, de règles, d’institutions et de citoyens informés.

« La surveiller comme du lait sur le feu »
« Le Nigeria a eu une entreprise pétrolière d’Etat qui a été un désastre, une catastrophe. Et même, il y a 2 ans, le gouverneur de la banque centrale du Nigéria a publiquement tiré la sonnette d’alarme et a dit que la compagnie pétrolière nationale a réussi à faire disparaitre des milliards de dollars de recettes pétrolières parce que c’était devenu un Etat dans un Etat. Donc vous devez savoir quel type d’entreprise publique vous devez mettre en place. Il faut qu’il y ait une supervision et un contrôle à tout instant. Il faut identifier le rôle de l’entreprise publique et la surveiller comme du lait sur le feu.

L’État, les compagnies et l’honnêteté
« Travailler avec la communauté. L’extraction des ressources naturelles a toujours lieu dans une région donnée. Cela peut créer des opportunités pour les locaux, mais cela peut créer des problèmes. Mettons l’accent sur les problèmes. Inévitablement, l’extraction des ressources naturelles n‘est pas forcément une bonne nouvelle pour tout le monde. L’exploitation des ressources naturelle va conduire au déplacement de personnes qui ont vécu dans cet environnement et qui en tiraient leurs moyens de subsistance.  Le gaz ne va pas créer beaucoup de perturbations comparé à l’activité minière. Mais il y a forcément des implications pour les communautés de pêcheurs par exemple. Et le point de départ c’est d’être honnête. Il faut dire par exemple que l’Etat ou la compagnie pétrolière ne peut pas promettre que les pêcheurs auront les mêmes prises qu’il y a deux à 3 ans. Il faut être honnête en disant qu’il y a des avantages et des inconvénients. Mais que nous allons essayer de minimiser les inconvénients. Donc vous avez besoin d’une stratégie qui prend de façon honnête en charge les risques dans les localités.

Le danger de la dépendance
« La gestion des recettes est capitale. Le premier point à souligner par rapport aux recettes tirées des ressources naturelles, c’est que ce ne sont pas des ressources durables, mais des ressources fossiles. Les recettes sont instables d’une année à l’autre parce que les prix du gaz va devenir instable lui-même. Et il y a maintenant beaucoup de Gnl (gaz naturel liquéfié) disponible aujourd’hui. Il y aura beaucoup de fixation de prix quotidien, plutôt que de prix fixes sur 10 ans. Donc lorsque vous faites vos projections budgétaires, vous ne savez pas quel sera le prix du gaz pour cette année. Vous allez donc avoir besoin d’une stratégie pour rationaliser vos dépenses. De plus, vous n’aurez pas du gaz à jamais. Le gaz que vous avez découvert sera épuisé dans une trentaine d’années. La troisième raison est plus subtile, c’est que la technologie va changer et votre avantage sur le gaz va être obsolète. Et le gaz peut perdre de la valeur avant son épuisement. Tout cela montre qu’il ne faut pas compter sur les revenus de ces ressources à long terme.

Les salaires et le danger
« Il ne faut pas faire ce qu’ont fait le Nigeria et le Ghana. L’année après la flambée des prix du pétrole sur le plan mondial en 1974, le gouvernement Nigérian a augmenté de 75% tous les salaires de la fonction publique. Donc le gouvernement a institué la permanence des dépenses courantes élevée. C’était très peu réfléchi car cela a phagocyté tous les revenus. 30 ans plus tard, les recettes du pétrole nigérian ne suffisent toujours pas à couvrir les dépenses courantes. Puis, le gouvernement Ghanéen a découvert du pétrole en disant que « nous allons apprendre des erreurs du Nigeria ». Mais ils ont quand même augmenté de 50% les salaires de la fonction publique et il y a eu les mêmes impacts sur les dépenses courantes. Il ne faut pas que vous commettiez ces erreurs.

Savoir investir
« L’autre question à laquelle vous devez répondre c’est est-ce que vous avez la capacité de bien investir? J’ai demandé ce matin à un des responsables gouvernementaux de haut niveau si le Sénégal a la capacité de bien investir et beaucoup investir actuellement ? Et il m’a répondu que non! Mais il faut du temps pour renforcer les capacités d’investissement. Donc jusqu’à ce que vous renforcez vos capacités d’investissement, les revenus supplémentaires que vous allez recevoir doivent être gardés à l’étranger ou en devises. Après avoir renforcé ces capacités, vous pourriez rapatrier ces fonds. Ce, pour vous éviter les mauvais choix d’investissement publics.

La maladie hollandaise, le désastre
« Quand les dollars du pétrole arrivent ils sont dépensés sur les biens qui peuvent être importés et sur les biens qui ne peuvent être importés, donc produits localement. Si vous voulez investir les dollars sur les produits domestiques qui ne peuvent être produits qu’au niveau national cela augmente les prix de ces produits. Donc la maladie néerlandaise c’est l’augmentation des prix des produits qui ne peuvent être importés. Et lorsqu’il y a flambée des prix des produits qui ne peuvent être importés, ceux que vous avez l’habitude d’exporter commencent à en pâtir. Par exemple, avant le pétrole, le Nigeria était un grand exportateur agricole. Le coton, les arachides, le cacao, tout a disparu. Les exportations non pétrolières au Nigéria se sont effondrées. C’est cela la maladie néerlandaise. Et c’est ce qu’il vous faut éviter.

Comment éviter la maladie hollandaise
« Comment éviter cette maladie ? Il faut utiliser votre épargne pour investir dans les bons secteurs et les bons secteurs ce sont les secteurs qui produisent ces biens non commerciaux. Vous devez aussi augmenter l’offre (…). L’utilisation du gaz pour produire de l’électricité c’est exactement le type de mesures à prendre, et il y a aussi l’investissement dans chaque ville et potentiellement des plateformes de production. D’ici à 2050, votre population urbaine va tripler, votre espace urbain n’est pas encore construit assurez-vous que les prochains villes seront efficaces et que ce seront des villes vivables dans lesquelles les entreprises seront productives. En somme, c’est cela la stratégie. Vous avez un revenu temporaire qui ne sera pas là à jamais, donc en exploitant les ressources naturelles, préparez-vous à épargner l’argent au niveau local, préparez-vous en renforçant la capacité d’investissement dans le secteur public comme dans le secteur privé. Une fois que vous êtes prêts, investissez adéquatement dans le secteur des biens non commerciaux, dans les villes, dans l’électricité. Ce type d’investissements. Ce qui pourrait vous faire éviter ce qu’a connu le Nigéria, c’est-à-dire l’effondrement de son secteur de l’exportation. »

 

Auteur: Propos rassemblés par Youssouf SANE – Seneweb.com

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