C’est fini, Emmanuel Macron sera notre prochain président de la République

Brigide-MACRON.© Malick MBOW
Brigide-MACRON.© Malick MBOW

L’enseignement fondamental du 23 avril: la France n’est pas un pays qu’on domestique.

23/04/2017 22:44 CEST | Actualisé

Cette fois, ça y est. C’est fini.

Emmanuel Macron sera notre prochain président de la République. Il vaincra évidemment Marine Le Pen au second tour et le débat entre eux, le 3 mai, sera attendu avec impatience mais il ne sera pas susceptible de modifier ce « plafond de verre » même suprême dont le FN va encore pâtir.

On a commencé d’ailleurs d’emblée – et cela ira jusqu’à la nausée démocratique – à multiplier les soutiens à Emmanuel Macron, même de la part de ceux qui au gouvernement et durant cinq ans, à cause de leur politique si peu populaire ont fait monter le Front national.

Cette campagne prétendument pauvre sur le fond aura été excitante, stimulante, anecdotique, choquante, injuste et partiale. La justice s’en sera mêlée à son corps défendant mais il y a des irruptions médiatiques qu’on n’a pas le droit de négliger. François Fillon n’a pas cessé de décliner après son triomphe de la primaire. D’abord à cause de certaines incertitudes programmatiques puis en raison des « affaires » qu’on a d’emblée collées à son statut de favori sans lui laisser une seconde de répit par la suite. Détournant le citoyen de la qualité de son projet pour ostensiblement ne l’occuper qu’avec la découverte d’une personnalité surprenante, voire décevante. Qui par ailleurs a très mal géré sa défense. François Fillon s’est exprimé avec beaucoup de classe pour reconnaître son échec et en assumer seul la responsabilité. Il votera en faveur d’Emmanuel Macron.

Je considère que les « puristes » dédaigneux de cette campagne ont eu tort. Il faut croire que le peuple n’a pas agréé l’avis de ses élites prétendues. Puisque la participation a été considérable et que l’abstention se situe à un niveau acceptable de 20%. Les primaires n’ont pas saturé, elles ont avivé, ravivé la passion civique.

Il y aura toujours des indifférents chroniques qui se moquent comme d’une guigne de la chose publique mais surtout une masse structurellement déçue qu’aucune espérance n’a mobilisée pour favoriser son retour vers une politique classique, même à tonalité extrémiste. Cette constance que plus rien n’affecte est une plaie pour la démocratie.

L’effervescence médiatique elle-même n’est pas parvenue, malgré la qualité et la pluralité des débats qu’elle a permis, à impliquer dans le vote encore plus de citoyens. Alors que pour les médias ces jours ont été d’abord des jours de gloire où leur utilité républicaine était manifeste mais aussi – l’un des paradoxes de cette période – des moments où discutés, contestés, voire vilipendés à cause de leur partialité et de leur questionnement, ils ont subi et enduré le pire. Jamais leur nécessité n’est apparue comme plus éclatante mais, en même temps, leur rôle et leurs méthodes n’ont jamais été plus sévèrement jugés.

Ce n’est pas parce que Jean-Luc Mélenchon n’a pas poursuivi sa montée – stoppée juste avant François Fillon – étant devenu, avec la faillite de la cause du courageux Benoît Hamon, le seul candidat plausible des gauches socialiste et communiste – qu’il n’a pas profondément marqué cette campagne pour le meilleur et pour le pire. Ce dernier est relatif à son programme qui n’a jamais su se dépêtrer d’une impression qu’un Matamore exhibant ses muscles et ses admirations pour des dictateurs « ensoleillés » ne serait pas le président capable de redresser la France et de réformer l’Europe. J’ose à peine imaginer ce que le premier tour aurait été si Benoît Hamon avait eu une absence d’amour-propre telle qu’elle aurait pu le conduire à se rallier à l’ascension longtemps impressionnante de Jean-Luc Mélenchon.

Le meilleur est venu de la constatation, enfin, que la qualité du verbe est capitale, la capacité de persuasion fondamentale, l’empathie discursive et l’intelligence démonstrative obligatoires, la culture une richesse qui irrigue la dialectique et nourrit les propos. Là où Juppé a échoué – il n’a jamais voulu de coach alors que pour la primaire il en aurait eu tant besoin! -, où Fillon n’a pas réussi, où Hamon n’a pas brillé, Mélenchon a excellé. Ce n’est pas rien d’avoir fait entrer dans les têtes populaires, politiques et médiatiques cette évidence que parole et adhésion sont indissociables et que c’est peine perdue de prétendre enthousiasmer sans le charisme d’un verbe exemplaire et admiré. J’espère une contagion pour le futur.

Les instituts de sondages n’ont pas à rougir. Ils n’ont pas démérité pour ce qu’ils avaient à exiger d’eux-mêmes, pour ce qu’on avait le droit d’attendre d’eux. Depuis des semaines, peu ou prou ils nous annonçaient le duo de tête et ne nous cachaient pas l’essor de Mélenchon et, malgré une légère reprise, le tassement de Fillon. Il est significatif que malgré l’offre pluraliste présentée sur la table de la démocratie, il y ait tout de même, malgré le « mouchoir de poche » qu’on pressentait, une distinction aussi sensible entre les deux premiers et les deux suivants – si proches l’un de l’autre – pour ne pas évoquer Hamon lâché.

A bien apprécier le résultat, il me semble qu’il a effectué un partage net et original entre les politiques classiques et éprouvés – quelles que soient les différences entre leur programme, le caractère « insoumis » de l’un et conservateur de l’autre – et deux incarnations de l’inconnu. En effet, Mélenchon et Fillon – et j’y ajoute Benoît Hamon – relevaient d’un monde ancien, orthodoxe, repérable. Le citoyen se sentait en pays de connaissance. Mais les partis classiques, de gauche comme de droite, sont en miettes.

Avec Emmanuel Macron et Marine Le Pen, dans un registre sans commune mesure, l’électeur avait privilégié une sélection inédite. Un saut dans l’inconnu. Pour Macron, sa jeunesse, l’étrangeté fulgurante de son destin, son parcours professionnel rapide et contrasté, sa nouveauté dans l’univers politique, sa personnalité si naturellement centriste et, pour beaucoup, convaincante dans sa volonté de dépasser les clivages traditionnels constituent autant d’éléments qui paradoxalement ont plus rassuré l’électeur qu’ils ne l’ont inquiété. On l’a crédité, en ces temps violents et troublés, d’une aptitude au régalien, d’une présomption d’autorité qu’il n’avait pas encore démontrées. On lui a fait confiance précisément parce qu’il ne les avait pas usées et donc qu’il n’avait pas eu le temps de décevoir.

Marine Le Pen, même défaite le 7 mai, aura gagné son pari. La dédiabolisation qu’elle a menée aura atteint ses effets. La distinction entre l’extrémisme du père et le pragmatisme rigoureux de sa fille a été clairement marquée et seuls encore quelques obtus, parce qu’on ne se détache pas des vieilles lunes et des conformismes, ressassent que Jean-Marie et Marine participent du même monde intellectuel, historique et politique. Macron a été choisi parce que le visage de l’inconnu, avec lui, était désirable, honorable, ne troublait pas l’âme ni l’esprit. Marine Le Pen a été choisie puis vaincue parce qu’on avait envie d’essayer sur l’arc démocratique – ou de s’en donner l’illusion – une flèche qui n’avait pas encore servi, qu’on devinait guère opératoire mais que l’inconnu, avec elle, faisait peur, donnait mauvaise conscience, aurait trop ressemblé à un chaos, que son programme et ses ennemis auraient engendré.

Un inconnu tentant, un inconnu éprouvant, inquiétant, provocant. L’arbitrage était facile pour un peuple qui aspire aux audaces mais tempérées, au changement mais douillet et confortable, qui proteste mais ne désire pas être pris au mot, aux maux.

Un président de la République ayant jeté l’éponge, des primaires qui à droite et à gauche ont donné des résultats que leurs suites ont dégradés, des bouleversements et des controverses de tous les instants, une classe politique pas si médiocre que cela, Emmanuel Macron élu le 7 mai prochain.

Il y aura les élections législatives. Derrière l’apparence tactique de la concorde jusqu’au 8 mai, le parti des Républicains et le parti socialiste seront revisités, agités jusqu’à leur possible disparition. Les frontières de la politique ne seront plus les mêmes et les camps perdront de leur identité rigide. Pour la vie démocratique aussi, il y aura de l’inconnu à foison.

L’enseignement fondamental du 23 avril: la France n’est pas un pays qu’on domestique.

Billet également publié sur le blog de Philippe Bilger

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *