Les USA frappent en Syrie, Moscou met en garde

 

 

Vladimir POUTIN - © Malick MBOW
Vladimir POUTIN – © Malick MBOW

par Michelle Nichols, Andrew Osborn et Tom Perry,Reuters

NATIONS UNIES/MOSCOU/BEYROUTH (Reuters) – Les Etats-Unis ont bombardé une base aérienne en Syrie dans la nuit de jeudi à vendredi, trois jours après l’attaque chimique contre un village du nord-ouest de la Syrie.

Cette première action militaire directe des Etats-Unis contre le régime syrien de Bachar al Assad en six ans de guerre civile a été fermement condamnée par la Russie, alliée indéfectible de Damas.

Pour sa première grosse crise diplomatique depuis son arrivée à la présidence fin janvier, le républicain Donald Trump a ordonné la mesure que son prédécesseur démocrate Barack Obama n’avait jamais prise: viser directement l’armée syrienne pour son rôle dans l’attaque chimique qui a fait au moins 70 morts, dont de nombreux enfants, mardi dans le village de Khan Cheikhoune, dans la province d’Idlib.

Cette attaque a été vivement dénoncée jeudi par Washington lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu, l’ambassadrice des Etats-Unis Nikki Haley montrant en séance des photos des victimes. Damas et Moscou ont nié toute responsabilité.

Une nouvelle réunion des Quinze a eu lieu vendredi après-midi pendant laquelle le vice-ambassadeur russe Vladimir Safronkov a « condamné fermement » une action américaine « illégitime ». « Les conséquences de (cette action) pour la stabilité régionale et internationale pourraient être extrêmement sérieuses », a-t-il averti.

Devant le Conseil de sécurité, la France et le Royaume-Uni ont en revanche défendu des frappes « légitimes » et dénoncé l’attitude de Moscou, qui aurait dû vérifier que son allié syrien n’enfreignait pas son engagement à ne plus utiliser d’armes chimiques.

59 MISSILES

Deux navires de guerre américains, le USS Porter et le USS Ross croisant en Méditerranée orientale, ont tiré vers 20h40 de la côte Est (00h40 GMT) 59 missiles de croisière Tomahawk contre la base de Chayrat près de Homs au nord de Damas. Cette base a été présentée par le Pentagone comme ayant servi à stocker les armes chimiques utilisées dans l’attaque sur Khan Cheikhoune.

L’armée syrienne a indiqué que six personnes avaient été tuées dans l’attaque et qu’il y avait d’importants dégâts matériels. La télévision publique a diffusé des images et indiqué que neuf appareils avaient été détruits. Elle a aussi fait état de neuf civils tués dans des villages près de la base.

Cette opération place Washington en confrontation directe avec la Russie, qui, en tant que principal allié du président syrien, le soutient par des frappes aériennes depuis septembre 2015 et lui fournit des conseillers militaires.

Le Kremlin et la Syrie ont dénoncé une « agression ». La Syrie s’est dite encore plus décidée à lutter contre l’insurrection qui est entrée dans sa septième année.

Selon le Premier ministre russe Dmitri Medvedev, les frappes américaines ont failli provoquer une confrontation avec les forces russes. Dans la soirée, le ministère russe de la Défense a informé le Pentagone qu’il fermerait à 21h00 GMT le canal de communications utilisé par la Russie et les Etats-Unis pour éviter des collisions accidentelles dans le ciel syrien.

C’était l’une des rares formes de coopération entre les deux pays qui mènent des missions de combat dans le même espace aérien pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.

« MÊME DE BEAUX BÉBÉS »

« Pendant des années les tentatives pour changer le comportement d’Assad ont toutes échoué, échoué lamentablement », a déclaré le président Trump en annonçant l’attaque de sa propriété de Mar-a-Lago en Floride où il tenait un sommet avec son homologue chinois Xi Jinping.

« Même de beaux bébés ont été cruellement assassinés dans cette attaque très barbare », a ajouté le chef de la Maison blanche à propos de l’attaque chimique, que les pays occidentaux attribuent aux forces du gouvernement syrien. « Aucun enfant de Dieu ne devrait jamais subir une telle horreur. »

Devant le Conseil de sécurité, l’ambassadrice américaine Nikki Haley a prévenu que les Etats-Unis étaient « prêts à en faire plus ». « Mais espérons que cela ne sera pas nécessaire », a-t-elle ajouté.

« Les Etats-Unis ne resteront pas les bras croisés quand des armes chimiques seront utilisées. Il est dans notre intérêt vital de sécurité nationale d’empêcher la propagation et l’usage des armes chimiques », a-t-elle expliqué.

En marge du sommet sino-américain en Floride, le secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin, a déclaré que des sanctions supplémentaires allaient être imposées à la Syrie en réaction à l’attaque chimique.

Les alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient, en Asie et en Europe ont tous exprimé leur soutien à l’initative américaine, avec plus ou moins de prudence, certains continuant d’insister pour une solution politique et négociée.

La France a jugé avec l’Allemagne qu’Assad portait l’entière responsabilité de ces frappes en recourant aux armes chimiques et aux crimes de masse.

« Seule une stratégie d’ensemble permettra de ramener la paix, la sécurité et la stabilité en Syrie », a ajouté François Hollande dans la soirée à l’issue d’une réunion du conseil de défense.

Selon l’un des responsables ayant participé à la planification de l’attaque syrienne, le raid sur Chayrat est une opération « ponctuelle » visant à dissuader les attaques chimiques et non une extension du rôle des Etats-Unis dans la guerre.

Des représentants des rebelles syriens ont réclamé de nouvelles frappes. « Une base aérienne, ça n’est pas suffisant », a déclaré Mohamed Allouche, sur Twitter.

SIGNAL POUR PYONGYANG

Cette action devrait toutefois être interprétée comme un signal pour la Russie, ainsi que pour d’autres pays comme la Corée du Nord, voire la Chine et l’Iran, avec lesquels les Etats-Unis ont eu des différends au début de la présidence.

Le président Vladimir Poutine a dénoncé par la voix de son porte-parole Dmitri Peskov qui « une agression contre une nation souveraine », la Syrie, en se servant d’un « prétexte fallacieux », celui d’une attaque présumée à l’arme chimique.

Moscou, qui affirme que le régime syrien ne dispose pas d’armes chimiques, a fait valoir que le drame de mardi était le résultat d’une fuite émanant d’un dépôt d’armes chimiques appartenant à des rebelles à la suite d’une frappe aérienne.

La visite du secrétaire d’Etat Rex Tillerson les 11 et 12 avril à Moscou a été malgré tout confirmée par le ministère russe des Affaires étrangères.

Des responsables américains ont précisé avoir informé la Russie avant les tirs de missiles et avoir pris soin de ne pas viser la partie de la base de Chayrat sur laquelle se trouvaient des troupes russes.

REVIREMENT

L’Iran, qui soutient le régime de Bachar al Assad, a également condamné l’opération. « L’Iran condamne l’emploi d’armes chimiques mais estime également qu’il est dangereux, destructeur et contraire au droit international de s’en servir comme d’une excuse pour mener des actions unilatérales », a rapporté l’agence de presse ISNA.

Les Etats-Unis menaient déjà des frappes aériennes en Syrie, contre l’Etat islamique qui contrôlent des territoires dans le nord et l’est du pays, tandis qu’un petit nombre de troupes américaines aident sur le terrain les milices qui luttent contre l’Etat islamique. Mais jusqu’alors, Washington avait évité une confrontation directe avec Bachar al Assad.

Cette décision est d’autant plus spectaculaire qu’avant de décider de frapper la Syrie, Donald Trump avait dit à plusieurs reprises qu’il voulait de meilleures relations avec Moscou, notamment pour lutter avec la Russie contre l’Etat islamique et que la lutte contre l’EI était prioritaire sur l’éviction de Bachar al Assad.

En août 2013, les pays occidentaux avaient accusé Bachar al Assad d’avoir utilisé du gaz sarin dans une attaque dans la Ghouta occidentale. Barack Obama avait été à deux doigts de lancer une frappe aérienne en représailles, avant de renoncer et de négocier avec la Russie un accord sur le démantèlement du stock d’armes chimiques de Damas.

(Michelle Nichols aux Nations unies, Tom Perry à Beyrouth et Andrew Osborn à Moscou avec les bureaux de Reuters; Pierre Sérisier, Danielle Rouquié et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)

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