Vladimir POUTINE © Malick MBOW

Le désastre Donald Trump, la preuve que la politique a des effets concrets Si un fou arrive à faire n’importe quoi, que fera donc un peuple conscient de sa puissance d’agir?

 

Vladimir POUTINE © Malick MBOW
Donald TRUMP © Malick MBOW

21/02/2017 07:00 CET | Actualisé il y a 14 heures


• Trump met des immigrés dehors, Trump autorise la construction de l’oléoduc du Misssouri, Trump fait construire un grand mur… C’est dommage qu’il ait fallu qu’un homme d’affaires beauf et semi-dément s’empare du pouvoir suprême pour qu’on prenne bien conscience des méfaits consubstantiels au système présidentiel. Cool et mainstream, mais patricien quoique métis, Obama, au-delà du symbole d’immense portée de son élection, n’aura agi qu’assez mollement contre les inégalités socio-raciales qui minent la promesse démocratique américaine. Que survienne un cinglé bien déterminé: on se rappelle alors dans la souffrance que la politique sert à quelque chose, qu’une signature en bas d’un papier officiel depuis un bureau lambrissé peut tout chambouler.
Trump, quoique d’ores et déjà manifestement nuisible, agit également contre les délocalisations en faisant pression sur les plus grands industriels américains pour qu’ils maintiennent leurs usines sur le sol national. La méthode, consistant en défiscalisation mais aussi en taxation des produits en provenance du Mexique, est certes contestable. Mais le simple fait que les puissances économiques savent se soumettre au pouvoir politique devrait inviter à la réflexion tous ceux qui concluent chroniquement à l’impuissance du politique quand il s’agit de lutter contre le dumping social et les méfaits du néo-libéralisme.
Nombre de chercheurs considèrent en effet que les décisions essentielles sont prises avant tout depuis des officines échappant au contrôle des institutions et s’imposant ensuite à tous: agences de notation, comités d’experts, conseils d’administration des grands groupes, etc. Contre cette vulgate universitaire, qui voudrait que le vrai pouvoir soit ailleurs, il faut opposer une réalité moins romantique. Ancien conseiller de cabinet ministériel, j’ai pu constater combien les classes dirigeantes étaient tout simplement en phase avec le néo-libéralisme, dont ils avaient tété la vulgate dans les grandes écoles du pouvoir ou dans leur milieu social d’origine. Ce qu’on appelle abusivement les renoncements de François Hollande et de ses équipes sont purement et simplement des retours à la normale idéologiques après la période euphorisante de la campagne de 2012. Car ni François Hollande ni encore moins sa garde rapprochée— encore aujourd’hui prodigieusement sûre d’elle-même au regard de l’absence quasi-totale de résultats de ses politiques économique et sociales—n’avaient réellement eu l’intention de s’en prendre à l’ordre établi.
Ainsi, depuis des décennies, en France au moins, le néo-libéralisme n’a pas eu ses lieux de décision en dehors de ceux du pouvoir politique: il s’en est tout bonnement emparé en même temps que de la plupart des cerveaux dirigeants. Et c’est pour avoir tenté de s’opposer à eux de l’intérieur qu’Arnaud Montebourg et Benoit Hamon ont dû, en l’absence de soutien populaire, et parce que nos institutions placent l’essentiel de la souveraineté entre les mains d’un seul, l’un son éviction, l’autre son départ forcé d’un gouvernement qui pensait sincèrement que les entreprises (entendez: les chefs d’entreprise) et les élites étaient seules à même de sauver le pays.
On ne peut conclure qu’il n’y a rien à faire contre le néo-libéralisme et la pression qu’il exerce sur les salaires ainsi que les délocalisations qu’il implique qu’à une seule condition: d’avoir vraiment essayé de s’y opposer, de s’être battu autant que possible, et d’avoir été vaincu. Ceux qui s’y sont sincèrement attelés sont toujours parvenus au pouvoir quand il était trop tard ou presque, comme dernier espoir avant le chaos: ce fut le cas en Grèce. Ils échouent alors parce que le pays est trop faible, non parce que le pouvoir politique doit toujours le céder aux revendications du pouvoir économique. Un gouvernement qui serait appelé aux responsabilités dès les signes avant-coureur de la curée néo-libérale, et qui aurait pour lui une force publique en bon état, serait vraiment en mesure de contribuer au progrès de l’égalité. A une condition toutefois essentielle: qu’il ait pour le soutenir toute la légitimité populaire, c’est-à-dire qu’il soit réellement démocratique, et à même d’assurer la participation du plus grand nombre à ses décisions.
Qu’on cesse donc de nous rabattre les oreilles sur le prétendu pouvoir occulte de l’argent qui déciderait tout dans son coin sans nous, ne nous laissant que nos yeux pour pleurnicher sur la dureté du sort. À ce complotisme savant, dénué de fondement factuel, il faut répondre que ce pouvoir s’affiche bien plutôt au grand air: c’est lui qui inspire les discours chiffrés assénés par les dirigeants politiques de tous bords pour justifier baisses de charge, baisses de salaire et concentration de la richesse entre les mains de ceux qui savent soi-disant mieux que nous quoi en faire.
Un espoir doit nous traverser à propos de ce qui se passe aux Etats-Unis : que la vie politique américaine réagisse vigoureusement à la folie de Trump, non pas en rappelant au pouvoir l’un ou l’autre de ses oligarques habituels—Clinton en tête, mais en refusant de confier à un seul, quel qu’il soit, le destin collectif de tout un pays. Souhaitons de ne pas avoir à en passer par là pour nous réveiller en France: si un fou arrive à faire n’importe quoi (et même quelquefois de bonnes choses), que fera donc un peuple conscient de sa puissance d’agir?

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