Un ex-chroniqueur de France Inter rattrapé par son double « maléfique »

 

Par Ludwig Gallet, publié le 20/02/2017 à 18:50 , mis à jour à 20:58

 

Après le passage du chroniqueur du Bondy blog dans La Grande Librairie jeudi dernier sur France 5, des internautes ont exhumé de nombreux tweets à caractère homophobes et racistes, publiés lorsqu’il écrivait sous pseudo.

Docteur Meklat et mister Deschamps. Depuis quelques jours, l’image de Mehdi Meklat, journaliste, auteur et chroniqueur à tout juste 24 ans, s’étiole. Le jeune homme, dont la carrière expresse a débuté alors qu’il n’avait que seize ans, aux côtés de son binôme Badrou, vient de se faire rattraper par son passé. Ou plutôt par son empreinte numérique, lorsqu’il tweetait sous pseudo.

Jusqu’en 2015, Meklat a publié des messages à caractère racistes, homophobes, injurieux. D’autres, comme celui diffusé le 8 juillet 2011, relèvent de l’apologie du terrorisme. « Regrette que Ben Laden soit mort. Il aurait pu tout faire péter », écrivait-il alors, sous le nom de Marcelin Deschamps.

La découverte de ce compte ne date pas d’hier. Mehdi Meklat en avait déjà parlé auprès des médias. En septembre, il assumait auprès du Monde ses abus, son absence de limite. Le quotidien racontait alors comment son ami Mouloud Achour, le présentateur de Canal+, le mettait déjà en garde contre ces « pulsions ». « Arrête ces tweets! Tu n’es pas dans une cour de récréation!, lui demandait-il alors, avant de promettre, « Les écrits restent, un jour on te les ressortira. » Prémonitoire. La teneur des messages retweetés massivement depuis son passage dans l’émission La Grande Librairie jeudi dernier sur France 5, a profondément choqué.

Marcelin Deschamps, ce « personnage pouilleux »

Pris dans la tourmente, Mehdi Meklat a répondu dès samedi, toujours sur Twitter. Sous sa véritable identité, cette fois, il s’est défendu en expliquant avoir incarné pendant des années « un personnage honteux, raciste, antisémite, mysogine et homophobe », pour « questionner la notion d’excès et de provocation ». Avant de s’excuser si ces tweets « ont pu choquer » les internautes.

Trop tard. Ou insuffisant. Tous ceux qui l’ont côtoyé dans le cadre professionnel ont été contraints de réagir. Le Bondy Blog rappelle ainsi que les tweets de Meklat n’engagent aucunement sa responsabilité, insistant néanmoins sur les explications et les excuses de son ancien chroniqueur. « Puisqu’il y a des évidences qu’il faut affirmer, le Bondy Blog ne peut cautionner des propos antisémites, sexistes, homophobes, racistes, ou tout autre propos discriminatoire et stigmatisants, même sur le ton de l’humour », poursuit le communiqué.

Début février, Mehdi Meklat et son compère Badrou partageaient la Une des Inrocks aux côtés de l’ancienne ministre de la justice Christiane Taubira. Sur Facebook, l’ancienne garde des Seaux fait part de sa consternation, « aussi vertigineuse qu’un cratère atomique ». Et si c’était un jeu, poursuit-elle, « il est trop pestilentiel et trop dangereux pour ne pas faire l’objet d’un examen rigoureux ». Avant d’appeler, tout de même, à purger, curer, cureter, les écrits de Meklat. « Il ne peut résider dans un même esprit la beauté et la profondeur d’une telle littérature et la hideur de telles pensées. »

Ce lundi, Mehdi Meklat a de nouveau pris la parole. Sur Facebook, il se défend plus clairement. Il concède des « outrances verbales indéfendables ». Il rappelle qu’il avait 19 ans lorsqu’il s’est mis à tweeter sur une plateforme au sein de laquelle « aucune règle n’était édictée », aucune modération exercée.

Rapidement, explique-t-il, Deschamps est devenu un « personnage de fiction maléfique ». Un personnage « honteux, misogyne, antisémite, raciste, islamophobe et homophobe ». Mais il se défend d’avoir été Marcelin Deschamps. « Au lieu de tuer définitivement Marcelin en créant un nouveau compte, Mehdi a endossé rétroactivement ces insanités avec la naïveté de croire que la distinction entre les deux était claire -malgré les avertissements. » Finalement, Mehdi Meklat a bien supprimé les milliers de tweets de Marcelin Deschamps, ce « personnage pouilleux ».

 

Je m’appelle Mehdi Meklat. J’ai 24 ans. Je suis reporter, réalisateur et écrivain. D’abord, je souhaite présenter mes plus sincères excuses à la suite des tweets que j’ai pu poster sur Twitter sous le nom fictif de Marcelin Deschamps. Je sais que bon nombre d’entre vous ont été légitimement blessés, outrés par ces injures, ces insultes, ces éructations qui ont ressurgi des tréfonds d’Internet ce week-end.

Je comprends l’émotion que peuvent susciter ces outrances verbales. Elles sont indéfendables. Je sais que vous êtes nombreux à avoir été touchés et déçus par ces propos ignobles qui ne reflètent pas celui qu’ils connaissent et avec qui ils travaillent. A vous aussi, je veux vous présenter mes excuses.

En 2011, j’avais 19 ans. J’ai rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la beauté. Sûrement « Marcelin Deschamps » suivrait ce chemin. Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas « dans la vie réelle », il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites ? Aucune. Rien sur ce réseau social naissant n’était mis en œuvre pour arrêter les logorrhées numériques ignobles. Marcelin Deschamps était absolument immoral. Il était honteux, misogyne, antisémite, raciste, islamophobe et homophobe. Il avait la haine entre ses mots et rejetait catégoriquement l’amour. Grisé par cette liberté infinie, Mehdi n’a pas su contrôler Marcelin. Nous partagions peut-être parfois une certaine colère mais je la transformais en art quand Marcelin n’avait que la haine en lui.

Parfois, dans les couloirs de la Maison de la Radio où nous travaillions avec Badrou, on me demandait si « j’étais Marcelin Deschamps ». Oui, je l’avais crée comme une créature et désormais, aux yeux des gens, je l’incarnais. On me regardait de travers. On ne comprenait pas que je puisse être si « différent » de « mes » tweets. Mais je n’étais pas mes tweets. Dans la vie réelle, il n’existe que Mehdi, Marcelin lui ne prenait corps uniquement sur les réseaux sociaux. Marcelin avait peu de followers. Il explorait les zones d’ombres les plus immenses. Il se demandait quand on l’arrêterait et si son compte serait bientôt effacé. Ce ne fut jamais le cas. Il aimait flirter avec l’excès. Alors il continuait, avec la violence la plus extrême, à tester ses limites. Il était con. Mais quand on a 20 ans, on aime les interdictions pour pouvoir les franchir.

Il y a quelques mois, j’ai décidé d’être définitivement « Mehdi Meklat » sur Twitter. D’être moi. J’ai tué Marcelin Deschamps, ce personnage que j’exècre. Mais ses tweets étaient encore là, définitivement gravés. Ils étaient même signés, depuis que j’avais changé mon pseudo, par mon vrai nom. Au lieu de tuer définitivement Marcelin en créant un nouveau compte, Mehdi a endossé rétroactivement ces insanités avec la naïveté de croire que la distinction entre les deux était claire -malgré les avertissements.

Pourtant, ces outrances n’ont rien à voir avec moi. Elles sont à l’opposé de ce que je suis et ce que je veux représenter. Je me souviens que Marcelin Deschamps, parfois, en une heure, pouvait ne jamais s’arrêter. Sa diarrhée verbale était son expérience ultime, comme un déversement sale et visqueux dans un monde qui peut l’être tout autant. Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister.

Mehdi Meklat © Malick MBOW
Mehdi Meklat © Malick MBOW

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