(Interview) Moise Sarr, Directeur des bourses : « Nous avons fait signer aux meilleurs élèves un acte d’engagement à servir le Sénégal »

Moise SARR - © Malick MBOW
Moise SARR – © Malick MBOW

Le 16 mars, 2016

Si la France tente de moins en moins les étudiants sénégalais, ils pourront désormais se tourner vers les grandes écoles américaines, canadiennes et même russes. Aujourd’hui, l’exclusivité de la bourse en France est levée. Moïse Sarr, Directeur du Service de gestion des étudiants sénégalais de l’extérieur explique les dispositions qui sont adoptées pour améliorer leurs conditions à l’étranger. Entretien

Quelle est la situation actuelle des étudiants sénégalais de l’extérieur pour l’année académique 2015-2016 ?

Pour cette année, la commission ne s’est pas encore réunie. Il y a eu une cinquantaine de bacheliers qui ont eu la mention Très bien ou bien avec une inscription dans les classes préparatoires pour le cas de la France et dans les grandes écoles dans les autres pays en Occident. Pour cette année, on a levé l’exclusivité de la bourse en France. Aujourd’hui, le jeune bachelier sénégalais qui a une inscription dans une grande école au Canada peut obtenir une bourse s’il en fait la demande. Il y a aussi ce que l’on appelle les bourses de coopération. Le Sénégal entretient des relations d’amitié et de coopération avec certains pays comme la Chine, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Russie. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous envoyons des jeunes étudier dans ces pays. Ces bourses également sont gérées par notre service dans la mesure où le pays d’accueil paie une partie de l’allocation et le Sénégal donne l’autre contrepartie. Ceux qui sont allocataires ont jusqu’au 31 décembre de l’année pour procéder à leur renouvellement. Cette année, nous avons constaté qu’au 31 au soir, il y avait beaucoup d’étudiants du Canada, de l’Algérie, de la Tunisie, de l’Égypte, de la Chine qui étaient renouvelables et qui n’avaient pas encore envoyé leurs dossiers. Avant, tous ceux qui n’avaient pas envoyé leurs dossiers avant le 31 décembre étaient frappés de forclusion. Mais aujourd’hui, par humanité et par respect, nous leur envoyons des emails et leur accordons un délai d’un mois.

L’année dernière, les étudiants avaient dénoncé le retard des paiements de leurs bourses et avaient même observé un mouvement d’humeur. Qu’en est-il ?

Depuis 2013, il n’y a jamais eu de retards de paiements. Ce qui s’est passé l’année dernière, c’est que mes services n’ont pas pu payer à temps les étudiants à qui nous avons octroyé des bourses et qui en retour n’ont pas renvoyé leurs dossiers. Je précise que tous les 1ers du mois, mes services procèdent au paiement régulier avec les étudiants, sauf s’il coïncide avec un jour férié ou un samedi.

L’année dernière était une année de réformes et la commission a tardé à se réunir. Il y avait un changement fondamental, car le ministre de l’Enseignement Supérieur a sorti un arrêté qui, pour la première fois, a mis en place une commission pour l’attribution des allocations et bourses. Et comme l’arrêté a été pris, le ministre ne pouvait plus se substituer à la commission pour payer ces bourses. Il fallait que cette commission se réunisse pour que l’arrêté soit adopté. Et quand ce fut fait, il se trouvait que les jeunes avaient déposé en juillet et août alors que l’arrêté a été adopté en mars. C’est ce qui explique ce retard. D’autre part, certains étudiants qui sont partis à l’étranger par leurs propres moyens demandent aussi des bourses alors que ce n’est pas l’État qui les a envoyés. Un étudiant qui se rend à l’extérieur pour étudier, comme c’est le cas de la France, dépose au niveau du Consulat une attestation bancaire de 615 euros par mois pour 12 mois. Malheureusement, il faut le constater pour le regretter que certaines attestations sont fausses ou sont de complaisance. C’est pourquoi le jeune qui étudie en France ne reçoit pratiquement rien de ce qu’il a eu à justifier comme ressources. Et parce qu’il a déposé une demande de bourse, il veut coûte que coûte que l’État puisse faire quelque chose. Je rappelle aussi que tous les jeunes que l’État a envoyés à l’étranger ont été payés et pris en charge dès le mois qui suit leur entrée dans le pays d’accueil.

Cette année aussi, les bourses ont été payées depuis le 18 septembre. Le jeune qui décide de partir par ses propres moyens et qui dépose une bourse est différent de celui que l’État a envoyé pour poursuivre ses études. Souvent, ce sont ces gens-là qui disent qu’ils n’ont pas encore été payés. Pour être payé, il faut d’abord que l’on vous accorde une bourse.

Pour l’année académique 2014-2015, il y avait 2217 personnes qui ont demandé des bourses. Tous les bacheliers avec mention très bien bien et Assez bien ont eu à obtenir pour l’année, cette année-là, une bourse d’excellence, une bourse pédagogique ou une aide. À ce jour, tout étudiant qui est déjà allocataire, qui a eu à renouveler son allocation et qui a droit au paiement, a été payé.

Avant, des étudiants qui obtenaient une mention Bien ou Assez bien ne pouvaient pas bénéficier dans certains cas de leurs bourses parce que les quotas étaient atteints. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Cela n’existe plus. Je ne dis pas que ça n’existait pas, mais aujourd’hui tout étudiant avec mention Bien, Très bien ou Assez bien bénéficie de facto soit d’une aide soit d’une bourse. L’année dernière, nous avons attribué des milliers de bourses, aides, allocation et bourses de coopération.

Combien cela représente-t-il ?

Nous étions à un peu de 7 milliards FCFA. Mais nous payons d’abord ceux qui sont attributaires. Ceux qui ont redoublé deux fois entre la 1re et la 3e année ou entre la 4e et la 5e, perdent leurs bourses. Un seul redoublement est autorisé entre les deux cycles. En sachant qu’un changement de filière est considéré comme un redoublement.

Aujourd’hui, l’exclusivité des bourses en France a été levée. Quelle appréciation en faites-vous ?

Il s’agit d’une grande première et d’une injustice qui a été réparée. Nous ne pouvions pas comprendre qu’un État qui est indépendant depuis 1960 puisse donner que des bourses en France. Avant, le bachelier qui obtenait la mention Très bien qui allait en France bénéficiait d’une bourse d’excellence. S’il partait au Canada ou aux États-Unis, il n’obtenait qu’une aide. C’était injuste. Mais depuis 2014, le verrou a été levé. Aujourd’hui, on peut envoyer des étudiants partout, pourvu qu’ils respectent l’orientation de la nouvelle réforme à savoir pour les meilleurs des inscriptions dans les classes préparatoires des grandes écoles et aussi qu’ils intègrent les filières scientifiques, les technologies, les sciences de l’ingénierie et aujourd’hui l’agriculture, qui est une priorité avec le Pse (Plan Sénégal émergent : NDLR). Nous avons aussi constaté que le président de la République a octroyé des bourses et allocations spéciales de 650 euros aux malvoyants qui ont obtenu une préinscription à l’étranger. Et que tous les enfants qui sont pupilles de la nation et qui ont déposé une demande de bourse avec un acte de décès d’un des parents, ont eu à bénéficier d’une aide à défaut d’avoir une bourse sociale. Nous travaillons pour accompagner nos étudiants pour qu’ils puissent rentrer et servir le pays. Aussi, le jeune bachelier sénégalais qui obtient la mention Très bien, Bien, qui ne souhaite pas aller à l’étranger, peut bénéficier d’une bourse d’excellence de 60.000 FCFA, ce que les doctorants avaient jusqu’ici.

Des bourses de mobilité sont aussi octroyées. L’étudiant en doctorat ou en ingénierie peut aussi obtenir une bourse de mobilité pour aller faire un mois, 4 mois ou dix mois à l’étranger. Celui-ci, s’il est sélectionné, reçoit en fonction de la zone géographie 650 euros par mois. Cette possibilité s’ouvre également aux jeunes sénégalais qui sont à l’étranger. Cette année, nous avons engagé des négociations avec des entreprises locales, comme le groupe Atos, qui nous a donné 10 places pour des jeunes qui sont à l’étranger et qui veulent des stages au Sénégal, pour une durée de 6 mois. Et Atos s’est engagé à donner 100 000 FCFA par mois et si le stage est concluant un contrat pour l’étudiant.

Qu’est-ce que vous faites concrètement pour le retour des cerveaux ?

J’ai mal quand je vois un étudiant ici, bac+5 qui se contente d’un petit boulot parce qu’il ne veut pas rentrer. Cela fait mal. Donc, j’ai lancé avec de jeunes étudiants sénégalais qui sont rentrés il y a moins de deux ans, un réseau qui s’appelle Back to galsen, et qui prend de l’ampleur dans les réseaux sociaux, notamment Facebook. Ces jeunes aujourd’hui créent des entreprises où ils peuvent collaborer avec d’autres dans d’autres pays. Aujourd’hui, il y a près de 10 entreprises qui sont créées par des jeunes qui sont dans ce réseau. Aujourd’hui, avec le Pse-J, près de 1000 jeunes ont été sélectionnés pour être formés à l’entrepreneuriat. Nous avons aussi fait signer aux étudiants avec mention Très bien et Bien, un engagement à servir l’État. Et ainsi développer un esprit de patriotisme pour que lorsque l’État a besoin d’eux, ils puissent rentrer et servir leur pays.

Combien d’étudiants sénégalais dénombrez-vous dans les grandes écoles à l’étranger ?

Aujourd’hui, le nombre d’étudiants allocataires de bourses inscrits dans les grandes écoles dépasse le millier.

Cette année deux étudiants sénégalais ont été reçus dans la prestigieuse école Polytechnique. Est-ce qu’il y a des mécanismes pour pousser les étudiants dans les filières scientifiques ?

Il s’agit de deux étudiants de l’Université Assane Seck de Ziguinchor et un de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Avec Polytechnique aujourd’hui, nous avons signé un protocole d’accord et une mission de prospection de l’École se rend à Dakar en début mars pour faire la promotion du concours qui s’ouvre bientôt. Aujourd’hui, nous envoyons des polytechniciens dans les lycées sénégalais comme Mariama Ba, Limamoulaye, Birago Diop, etc., le Prytanée militaire pour les encourager à intégrer les filières scientifiques. Souvent, ce sont dans ces lycées que l’on retrouve le plus de mentions au Bac et des prix pour le Concours général. Nous voulons par là susciter des vocations. Nous sommes en train de voir la possibilité d’envoyer des professeurs de ces lycées en France pour qu’ils puissent voir comment sont encadrés ces élèves qui sont dans les classes préparatoires.

Quels sont les dispositifs de gestion qui sont mis en place pour aider les étudiants ?

Nous offrons l’opportunité à l’étudiant sénégalais de lui servir de garant pour obtenir un logement en France. Une convention tripartite entre l’étudiant, le bailleur et l’ambassade est signée. Le bailleur s’il n’est pas payé jusqu’au 8 du mois peut nous saisir directement. À notre niveau, nous ponctionnons directement de manière échelonnée sur la bourse de l’étudiant, mais nous épongeons auparavant le loyer de l’étudiant. Nous sommes en train de faire une offensive au niveau des Crous parce que jusqu’ici nous étions privilégiés, mais depuis un certain temps, il y avait un manque de confiance qui faisait que nos jeunes avaient des difficultés pour bénéficier des chambres. Nous devons à la vérité de dire que beaucoup d’étudiants ne payaient pas et que des dettes nous ont été envoyées par le Crous. Mais, avec le dispositif caution solidaire, nous les accompagnons. Nous avons également signé une convention de logement social avec un bailleur français qui s’appelle Adoma. Celle-ci prévoit 500 logements. L’étudiant sénégalais qui est logé dans le cadre de cette convention paie uniquement entre 60 et 180 euros.

 

Auteur: Lala Ndiaye

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